Oui, et je suis bijoutier depuis.
La joaillerie est un art du vol, dans la mesure où l'essentiel est de s'inspirer de ce qui nous entoure afin de le transformer.
Les objets anciens, la tradition ont toujours servi d'influence, et c'est encore vrai de nos jours. Nous sommes guidés par l'idée d'un travail bien fait, avec amour, et en restant réceptif à la ville de Venise, qui est notre principale source d'inspiration. Une pièce qui marchait bien au début, c'était le moretto, une figurine de Maure que mon grand-père avait copiée sur un tableau ancien.
En effet. À la place, je me suis mis à fabriquer des têtes de morts, et elles ont obtenu un succès mondial.
Du Caravage : le XVIe siècle marquait la fin d'une ère, et lui et les tenants de son école se sont mis à faire figurer dans leurs tableaux des crânes en guise de symboles de résurrection, en opposition à la mort.
Il faudrait leur poser la question. C'est bizarre, peut-être, mais incroyablement populaire. Il y a encore une demande très forte. C'est un motif classique, désormais, que ce soit pour une bague, une broche ou une autre pièce.
J'aimerais vous raconter une anecdote. Il y a bien des années, je ne comprenais pas pourquoi tant de clients venaient avec une demande précise : une broche avec cinq émeraudes. En fait, Ernest Hemingway m'a mentionné dans Au-delà du fleuve et sous les arbres, et tout le monde voulait un souvenir.
Oui. Il est fabriqué à Venise, avec une tête en pierres précieuses.
Au départ, surtout à Londres, à Hatton Garden (un quartier réputé pour ses joailleries et le négoce de diamants, ndlr), et aussi auprès d'autres bijoutiers.
Les plus belles pierres sont plus coûteuses que jamais, tandis que le cours des pierres médiocres a baissé. Je m'efforce d'éviter d'utiliser des pierres de piètre qualité.
Oui et non. Un très beau saphir peut supplanter un rubis moyen. Trois pierres se disputent le titre de pierre la plus précieuse : l'émeraude, le rubis et le saphir.
Le rubis.
Si, dans ses multiples incarnations, et parce qu'il se présente sous plusieurs formes, entre les tailles anciennes et modernes.
Il n'existe pas. On peut toujours en trouver un plus beau.
J'ai avec moi des gens qui ont une maîtrise du dessin hors pair. Je préfère m'expliquer. Chaque personne a une tâche spécifique : sertissage, émaillage, toutes ces procédures sont confidentielles. Ce sont mes secrets.
Oui, c'est comme ça que je me défends. Ils parlent une autre langue. C'est différent, mais tout aussi intéressant. Ils ont aussi des clients aristocratiques, de tout premier plan. Le monde qui se cache derrière ce commerce est amusant.
Oui, ils portent ma signature et je ne réalise que des pièces uniques. C'est avec ma casquette d'artisan solitaire que je travaille le mieux.
Elle a changé pour tout le monde. Il est devenu difficile ne serait-ce que d'imaginer que c'est dans cette ville que s'organisaient des fêtes somptueuses sur le Grand Canal dans les années 50.
Très peu.
Non, il y en a moins. Mais le monde d'aujourd'hui est intéressant, car ceux qui viennent sont plus sélectifs, plus curieux.
Un jour, après la guerre à Milan, je jouais au foot devant un magasin. J'ai cassé la vitrine avec le ballon, et dedans, il y avait un magnifique Giorgio De Chirico. Le collectionneur était Vittorio Emanuele Barbaroux. Il m'a entraîné à l'intérieur en me tirant par l'oreille, et m'a forcé à regarder toute sa collection. C'est peut-être là qu'est né mon amour de l'art.
Des toiles de Roy Lichtenstein et Andy Warhol. Je suis devenu ami avec Warhol. Il a fait un formidable portrait de moi.
Oui, il les collectionnait. Il collectionnait tout, mais en particulier les bijoux. Il n'est venu à Venise que quelques fois. Un jour, j'ai organisé une fête en son honneur, avec cent invités chez moi. Nous étions tous assis quand, tout d'un coup, il y a eu un tremblement de terre. Warhol est tombé sur le dos. Mais il était content de ce séjour à Venise, si bien qu'ensuite nous nous sommes souvent revus à New York. Je m'entendais extrêmement bien avec lui. Il ne parlait pas beaucoup, mais il communiquait abondamment quand il était d'humeur.
Oui, au fil des années. Ainsi que de Robert Rauschenberg, Bruce Nauman et Cy Twombly. Et je suis un inconditionnel de Marcel Duchamp.
Quand j'habitais à Milan, il y avait une galerie possédée par feu Arturo Schwarz, un homme irremplaçable. Il m'a fait découvrir Duchamp et m'a beaucoup influencé.
Importante, je ne sais pas. Toutes ses oeuvres les plus importantes se trouvent au musée de Philadelphie. J'ai acheté quelques-unes des pièces qui circulaient encore dans les années 60 et 70. Je ne pense pas qu'il reste des oeuvres de lui en vente. En plus de Duchamp, Schwartz m'a fait acheter du Francis Picabia, du Salvador Dali, les surréalistes.
Oui, et il en dessinait aussi. J'ai publié un livre intitulé Antologia Grafica del Surrealismo, en 1975, et on y avait omis Dali. C'était un acteur essentiel de ce mouvement, et il n'aurait pas dû être écarté d'une anthologie du surréalisme, alors il m'a demandé de venir le rencontrer à l'hôtel Meurice, à Paris, et de lui apporter 30 000 dollars, moyennant quoi il me donnerait quelque chose pour faire mon travail. Au bout d'un mois, j'y suis allé muni de la somme, et je lui ai demandé ce qu'il avait pour moi. Une montre, a-t-il dit, et comme j'étais bijoutier, orfèvre, sa « contribution » serait comme un joyau pour moi. Je lui ai fabriqué un bijou magnifique qui a ensuite été perdu. Un bijou surréaliste, superbe, avec des chevaux. Un objet flamboyant, étrange.
Maurizio Cattelan. J'aime aussi beaucoup Giulio Paolini. L'intérêt n'est pas de connaître les artistes, dont la personnalité tranche parfois complètement avec leur travail. C'est plus intéressant de posséder l'oeuvre.
Il y a un lien, je trouve ça plus stimulant de regarder les deux ensemble.
Je ne l'aime pas trop. C'est paradoxal, peut-être. La joaillerie contemporaine est faite de matériaux et de désirs nouveaux, plus seulement d'or. Il y a beaucoup plus de clients, et il faut faire la course pour les satisfaire.
Les bijoux anciens sont des investissements. Quand ils sont authentiques, ils sont porteurs d'une histoire incroyable. Et ça me plaît.
Oui, mais je ne peux pas dire lesquelles.
Oui, énormément. Ce serait mon rêve : ne travailler qu'avec des musées.
Oui, comme tout le reste.
Venise fait le commerce de sa propre mort.
Traduction de l'anglais Héloïse Esquié
Traduction de l'anglais Héloïse Esquié