Comment les marques parlent aux ados

Comment les marques parlent aux ados

« C'est trop stylé ! » s'extasie Camille, collégienne de 11 ans, en admirant le tout nouveau sweat « aaucarré » de Victoire, 12 ans. Sans pub ni e-shop, cette petite marque française lancée par un étudiant en maths - d'où son nom - est devenue en quelques semaines l'uniforme de centaines de préados. Avec deux micro-boutiques (23, rue Vaneau, Paris-7 e et 15, rue Beauregard, Paris-2 e ), elle a misé sur sa communauté Instagram : plus de 26 000 abonnés affichent leurs sweat et casquette siglés, en faisant la gueule, voire un doigt d'honneur. Bienvenue sur la planète mode ado ! Ils ont entre 10 et 16 ans et jonglent avec les sapes plus vite encore que leurs aînés millennials. Leurs marques favorites : Carhartt ou Supreme, Local Heroes ou Thrasher, la française Homies from Paris, ou celles plus grand public comme ASOS et Weekday - dernier label de H&M. Ils copient le look de leur bande ou des instagrammeurs stars, de Bella Hadid à Lukas Ionesco. « Dans les années 1980, le type bien sapé regardait les clips de MTV sur le câble, se souvient Michael Dupouy, de l'agence de communication La MJC, fondateur, avec Pedro Winter, de la marque Club 75. Aujourd'hui, le moindre look repéré sur un rappeur de Los Angeles se propage à vitesse grand V sur les réseaux sociaux. En un sens, la mode s'est démocratisée. » Pour Michel Fize, auteur de « Mon adolescent en 100 questions » (Éd. Eyrolles) : « Les réseaux sociaux n'ont fait qu'accélérer la valse des marques en vogue mais les ressorts psychologiques restent les mêmes. À l'adolescence, vêtements, bijoux, tatouages sont le moyen d'affirmer son identité. »

Le rêve de toutes les marques ? Faire de ces ados des clients fidèles. Les pister, les séduire, les attraper dans leurs filets est une tâche immense. Ces nouvelles cibles marketing sont mouvantes et hétérogènes même si toutes, ou presque, ont les yeux rivés sur leur Smartphone. American Apparel, qui leur était destiné, a déposé le bilan et cherche un nouveau souffle, alors que Quiksilver n'est pas passé loin. « On observe comme un affolement des marques, reconnaît Eric Briones, consultant et coauteur de 'La Génération Y et le luxe' (Éd. Dunod), les recettes publicitaires d'hier ne touchent pas la jeune génération. Les griffes doivent se réinventer d'urgence... » Dopés aux images Instagram ou aux séries télé nostalgiques comme « Stranger Things » ou « The Get Down », un nombre impressionnant d'ados ont développé une culture stylistique pointue. Tallulah, 18 ans, fan des looks rock de l'artiste Sita Abellan et de ceux de la rappeuse Princess Nokia, confirme : « J'aime les chaussures de skate des années 2000 comme l'esprit seventies des dernières collections Gucci. Mais je n'ai pas le budget, alors je chine en friperie des pièces uniques. Je ne me verrais pas dépenser des sommes astronomiques pour des vêtements que tout le monde porte. »

Victimes de la mode ? Surtout pas. « Consommacteurs », certainement. Fini la marque au message à sens unique, les jeunes veulent dialoguer avec les créateurs, interagir, voire cocréer. Mégalos ? Orgueilleux ? « Non, les ados voient simplement le monde à l'horizontale, entre pairs, explique Nathalie Rozborski, de l'agence de tendances NellyRodi. Ils refusent d'être soumis aux directeurs marketing : ce sont eux, les directeurs marketing. » « La mode est un jeu, confirme Eric Briones. Ils ont la culture du participatif, de l'open source. Comme lorsque Adidas propose via Snapchat de colorier sa basket Neo en vue de commercialiser la plus créative. Ça cartonne ! Ils adorent qu'on leur demande leur avis. Sinon, ils s'ennuient et n'achètent pas ! » Certaines marques s'appuient directement sur les ados pour se développer via Instagram. C'est le cas de Rad, qui ne possède pas de boutique physique mais un compte nourri de photos d'ados. En n'oubliant pas de taguer le label, ils voient leur photo « repostée » et leur nombre de followers grimper (comme la marque, qui en affiche plus de 471 000). « Rad est fait par des jeunes pour des jeunes. Ils s'identifient à ces images et entrent dans une communauté », affirme Jeanne Crehange, styliste de la marque.

Comment les marques parlent aux ados

Le luxe tente aussi de se mettre au diapason de cette clientèle potentielle. Gucci a réussi en deux ans sa mue numérique en misant sur une communication intégrant art, histoire et pop culture. En février, la griffe italienne Fendi a lancé F is For..., une plateforme réservée aux ados, qui s'y expriment sur des sujets touchant à la musique, à la mode et au lifestyle. Pour présenter sa collection automne-hiver 2017, Dolce & Gabbana a choisi 49 jeunes influenceurs (qui ont beaucoup de followers). Parmi eux : le mannequin Lucky Blue Smith (3,1 millions), Presley Gerber, fils de Cindy Crawford (360 000), ou Sarah Snyder, ex de Jaden Smith, le fils de l'acteur Will Smith (1,4 million). Plus pragmatiques, plus informés, ces nouveaux acheteurs frôlent parfois la rébellion contre le consumérisme. « Les ados ne sont plus du tout naïfs et on ne peut plus leur mentir », précisent Delphine de Canecaude et Nadège Winter, fondatrices de Twenty, un média communautaire pour les 16-25 ans. Née avec la crise et le réchauffement climatique, la « génération Z » (les moins de 22 ans) se montre très engagée sur les questions environnementales ou sociétales. Des idées incarnées par des ados activistes comme Willow Smith, soeur de Jaden Smith, un des nouveaux visages de Chanel qui, à 16 ans, fait preuve d'une maturité stupéfiante et poste sur Instagram des messages féministes. De même, Paris Jackson, 19 ans (fille de Michael Jackson et égérie Calvin Klein), explique sans complexes dans une interview au magazine « i-D » publiée début août qu'elle aimerait changer les standards de beauté, qu'elle-même a des vergetures et de la cellulite et est très sensible à la cause environnementale.

LES NOUVELLES ICÔNES

Princess Nokia À 25 ans, la rappeuse féministe cultive un style aussi street qu'acidulé.

Sasha Lane L'actrice d'« American Honey » pose pour Vuitton et affiche ses dreadlocks.

Millie Bobby Brown Remarquée dans « Stranger Things », à 15 ans, elle milite contre le harcèlement.

Angèle Metzger la parisienne mixe avec facilité des pièces rock et vintage sur Instagram.

Darth_Bador La mannequin britannique au nez percé encourage les femmes à s'accepter.