Marc Roche sur « le cas Harry » : « Meghan Markle remplissait toutes les cases pour se faire haïr des tabloïds »

Marc Roche sur « le cas Harry » : « Meghan Markle remplissait toutes les cases pour se faire haïr des tabloïds »
People et royauté

Le duc de Sussex malmène la monarchie britannique et agite l’opinion publique. Il y eut cet entretien donné avec son épouse, le 7 mars dernier à Oprah Winfrey sur la chaîne américaine CBS. Echange qui fit beaucoup jaser. Récemment, il se livrait encore, critiquant l’éducation que lui aurait prodiguée son père, comparant dans la foulée la vie au Palais à celle d’un zoo ou d’une télé-réalité géante. Harry sur le divan, c’est Shakespeare à Buckingham.

A quelques semaines de sa visite en Grande-Bretagne, zoom sur le profil d’un post-adolescent de 36 ans, 6e dans l’ordre de succession au trône et qui lance à la “Firme” un défi. Institutionnel peut-être, familial aussi, les deux étant forcément liés comme nous le confirme Marc Roche, écrivain, journaliste, correspondant du Soir et du Point à Londres (*).

« Je vais m’assurer de briser le cycle », lançait Harry, un brin fanfaron, le 13 mai dans le podcast américain « Armchair Expert », présenté par le comédien Dax Shepard. Harry y parlait entre autres de l’éducation du prince Charles. « Il n’y a personne à blâmer. Je pense que personne ne devrait être pointé du doigt. En ce qui concerne la parentalité, j’ai éprouvé une certaine forme de douleur et de souffrance à cause de la douleur et de la souffrance dont mon père ou mes parents ont eux-mêmes peut-être souffert. Je vais m’assurer de briser ce cycle pour ne pas le transmettre. »C’est désormais une habitude ou presque pour les Britanniques – et le reste du monde, sachant que Buckingham fascine plus que tout autre monarchie. Après les coup fumant de son interview à Oprah Winfrey, Harry, le “prince rebelle”, dénigre en mode virtuel la vie de Palais à Londres. Il la compare allègrement à «un mélange entre The Truman Show et une vie dans un zoo ».Après avoir suscité ce que Le Monde notamment qualifiait de “guerre de communication toxique” au sein de la monarchie britannique, le petit-fils d’Elizabeth II persiste et signe.Sur un mode un brin “bon sang mais c’est bien sûr”, le prince a ainsi justifié sa prise de conscience tardive quant à la jeunesse paternelle. « Soudain, j’ai commencé à tout reconstituer : « Ok, c’est là qu’il est allé à l’école. Je sais cela de sa vie. Je sais aussi que cela est lié à ses parents, ce qui signifie qu’il me traite comme il a été traité. Comment pouvons-nous changer cela pour mes enfants ? J’ai déménagé avec toute ma famille aux États-Unis. Ce n’était pas le plan. Mais parfois, vous devez prendre des décisions et donner la priorité à votre famille et à votre santé mentale. » Harry signale par ailleurs que « la thérapie l’a aidé à « sortir la tête du sable » et lui a fait réaliser qu’il devait utiliser sa position privilégiée pour aider les autres.

Lire aussi > L’entourage de la reine gronde pour que Harry et Meghan perdent leurs titres au plus viteDerrière ces déclarations parfois ronflantes, souvent iconoclastes, on décèle chez Harry, au-delà du trauma familial pur, une spontanéité un brin casse-gueule Ce ne sera d’ailleurs vraisemblablement pas la dernière fois qu’un grand déballage a lieu.La notion de santé mentale était apparue aussi lors de l’entretien donné par Harry et Meghan à Oprah Winfrey. Il était question alors de Meghan et de son impuissance à trouver un conseil pour l’épauler dans son désarroi, dans la prison dorée du Palais. La « firme » lui aurait refusé l’aide psychologique dont elle avait besoin alors qu’elle nourrissait des pensées suicidaires.L’équilibre psy serait une clé du personnage de Harry, nous indique Marc Roche. “Après ses déclarations récentes et d’autres points, beaucoup font aujourd’hui ce constat : le prince a visiblement un problème mental. On n’arrête pas de l’évoquer dans les médias et ailleurs. C’est un concept à la mode aujourd’hui mais ici il semble prendre tout son sens. En tout cas cet aspect ne surprend pas les Britanniques outre mesure car on sait que Harry a été traumatisé par la mort de sa mère. C’est un garçon sensible, plus que son frère aîné qui a été formaté par sa grand-mère pour ne jamais laisser filtrer publiquement ses sentiments.On voit mal William s’entretenir avec un psy.»

La « santé mentale » et le bien-être psychologique et émotionnel sont par ailleurs au centre de la nouvelle série documentaire lancée par Harry et Oprah Winfrey sur Apple TV. Dans The Me You Can’t See ( Le Moi que tu ne peux pas voir), Harry parle de son enfance, évoque sa vulnérabilité, quelques flash-backs déchirants des funérailles de Lady Diana, son impuissance à la protéger. Egalement au programme, les états d’âme du « celebrity chef » Rashad Armstead, de la boxeuse poids léger Ginny Fuchs, ou les traumatismes de Lady Gaga.

Si l’intégrité des participants n’est pas à mettre en cause, la superficialité de certains thèmes, liés arfois à l’activisme de « A list celebrities », a été dénoncée comme étant a priori plutôt éloignée des préoccupations du tout venant. De même, les sujets, survolés, abordés dans le format de la confession, n’apportent pas de pistes concrètes ni de conseils précis pour des questions psychatriques impératives à traiter dans des délais raisonnables. Les règles du show-business, même à vocation humanitaire, sont reines. Et sans doute n’est-ce là aussi que le début d’une longue série.

« Il a étudié à Eton et a été à l’armée. C’est la base pour les Windsor »

Une enfance cassée par la disparition brutale de sa mère, associée à ces hordes de paparazzi. Et une expérience qui, outre un séjour au front en terrain afghan, et, quelques parties de strip poker à Vegas peut sembler maigre en termes de vécu, et peut expliquer qu’il ait découvert la Californie, l’entertainment et un mode de vie bobo avec des paillettes dans les yeux.On décèle, de fait, chez Harry ce qui ressemble furieusement à des lacunes éducatives, ce qui apparaît comme un déficit de « vraie vie ». Des manques liés peut-être aussi à une formation plutôt formatée précisément, et à un cursus qui ne semble pas hyper poussé. Un background universitaire ou du moins une formation professionnelle plus spécifique que l’armée aurait pu l’aider à rebondir.“Il a tout de même étudié au collège d’Eton, même s’il était un peu à la traîne et qu‘il a réussi ses examens dans des conditions rocambolesques. Il a fait l’armée aussi. Ça doit suffire en principe si, comme ce fut le cas pour William, on vous a inculqué l’importance du devoir en vous rappelant que vous serez roi un jour. Harry quant à lui a été totalement délaissé. La reine, les tantes et les oncles n’avaient d’yeux que pour William et Harry a toujours été à l’abandon. »

Victime indirecte de la « light monarchy »

Son enfance a donc été négligée, bâclée, pour des raisons propres à l’institution entre autres. Mais Marc Roche refuse de parler ici d’une erreur d’éducation. “C’est, souligne-t-il, le système qui veut ça.”On songe évidemment à d’autres cadets de familles royales européennes, ceux dont les rôles se situent entre deux eaux, peu susceptibles de régner un jour mais pas suffisamment éloignés que pour avoir acquis toute liberté d’action. Leur rôle n’est pas écrit dans la « Constitution » du Royaume-Uni (un ensemble de règles constitutionnelles non codifiées issues de la loi, de la jurisprudence, d’usages constitutionnels.) Par ailleurs un rôle défini noir sur blanc irait à l’encontre sans doute du « resserrement » des effectifs royaux qui est de mise dans la monarchie britannique comme dans d’autres monarchies européennes.

Lire aussi > Elizabeth II et la famille royale sur la BBC juste avant l’interview de Meghan et Harry chez OprahElizabeth II a réduit la voilure, comme le veut aujourd’hui l’acceptation d’une monarchie plus ancrée dans son temps. “Dans la royauté britannique, il n’y a pas de place pour quiconque est en-dehors des deux ou trois premières places dans l’ordre de succession », confirme Marc Roche. « La famille royale est ramenée à la reine, Charles et William. C’est une “light monarchy”. Les Scandinaves l’avaient avant les Britanniques. Cette mesure s’imposait aussi. Vu l’âge de la reine, il y avait cinquante-deux ayant-droits. Sous la pression de l’opinion publique, il a fallu remettre de l’ordre.»

“Diana ? Son personnage est périphérique”

Marc Roche sur « le cas Harry » : « Meghan Markle remplissait toutes les cases pour se faire haïr des tabloïds »

L’héritage génétique et sociétal de Diana semble naturellement incontournable quand on parle de Harry. L’impact du drame maternel sur le vécu du prince a-t-il été surestimé ? « Comme le fait remarquer Penny Junor (*), biographe du prince Charles notamment, Harry n’est pas le seul enfant au monde à avoir perdu sa mère jeune. Il n’est pas le seul non plus à avoir connu les difficultés d’une jeunesse troublée, ni le seul à être issu de parents divorcés.»

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La légende Diana perdure naturellement dans les mémoires et continue à faire recette sous la forme de séries, films, ou documentaires, mais le reflet de la princesse de Galles est en réalité, commente Marc Roche, nettement moins présent qu’on l’imagine dans les esprits britanniques. “Diana est complètement oubliée dans ce pays. C’est un personnage périphérique. »L’accident qui lui a coûté la vie a contribué à ériger le mythe. « J’ai toujours dit que Diana était un épiphénomène que la mort a déifié. Mais même après sa disparition et le traumatisme lié, la population est restée attachée à la famille royale, et à la reine comme en atteste le succès de son jubilé de diamant en 2012. Les fans de Lady Di ont vieilli, ils ne sont plus très nombreux. Ce sont les lecteurs de la presse populaire bien sûr, mais celle-ci compte aussi parmi ses fidèles de grands supporters de la monarchie. Lady Di était un peu comme Meghan. Elle adoptait des causes pas très populaires, du moins en son temps : le sida, la main tendue aux homosexuels, l’aide au Tiers-Monde, les mines antipersonnel, le monde de la mode, l’amitié avec Elton John… On était très loin des préoccupations du peuple monarchiste. »

Meghan, démolie par la presse tabloïd

“Harry dynamite sa famille”, tweetait, après l’interview donnée par Harry et Meghan à Oprah Winfrey, le secrétaire d’État chargé du Pacifique, Zac Goldsmith, proche de Boris Johnson. L’influence de son épouse, Meghan, plus mûre, rompue aux impératifs du show-biz, est incontestable selon de nombreux observateurs.La comédienne est aussi une femme d’affaire qui ne recule pas devant les projets. Elle doit publier le 8 juin un livre pour enfants, « The Bench », illustré par Christian Robinson, et dans lequel elle évoque le lien entre un fils et son père. Elle s’est inspirée du prince Harry et de leur fils Archie. Une Américaine qui a travaillé pour le New York Magazine et pour Rolling Stone lui reproche de s’être inspirée de “The Boy on the bench”, né de la collaboration de Corrine Averiss et de Gabriel Alborolo et publié en 2018. Sur la cover, on voit un garçon assis sur un banc avec son père. Mais l’auteur de cet ouvrage serait montée au créneau pour défendre Meghan, démontant l’idée d’un plagiat et signalant que les deux thématiques étaient très différentes.Meghan a dû faire face à la déconstruction systématique de ses propos dans l’interview d’Oprah Winfrey. Piers Morgan, présentateur anglais, populaire et conservateur, n’a pas manqué de souligner à profusion les inexactitudes de ses propos, mettant en doute la plupart de ses assertions (comme le fait que Harry et elle se seraient mariés “en secret” avant la jour J officiel). Ses attaques en rafale ont d’ailleurs provoqué son départ en fanfare du show “Good Morning Britain” sur ITV. “En réalité”, souligne Marc Roche, “Piers Morgan ne fait que refléter l’opinion populaire.”

« Elle remplissait toutes les cases pour se faire haïr »

Que dire dès lors du rôle réel de la presse, notamment tabloïd, très puissante au Royaume-Uni, et qui a vilipendé la femme de Harry ?« La presse populaire britannique représente cinq millions d’exemplaires chaque jour. Elle a toujours fait ses vaches grasses des mœurs des royals. Son succès est lié à l’Angleterre, assez voyeuriste et où la protection de la vie privée n’est pas la même qu’en Belgique. C’est un pays très majoritairement en faveur de l’institution royale qui est au-dessus de la mêlée et la presse populaire est la meilleure interface entre monarchie et peuple. Et les dérapages sexuels des Windsor font vendre du papier. Ces médias n’ont jamais attaqué la reine et le prince Philip car ils représentaient l’État mais il ont été d’une cruauté inimaginable dans l’affaire Charles et Diana, Camilla contre Kate à un moment, et sont certainement anti-Meghan. C’est une presse de droite. Meghan remplissait toutes les cases pour se faire haïr. Non pas parce qu’elle est « métissée » (un terme qu’on n’utilise d’ailleurs plus en Grande-Bretagne) car cette presse se vend énormément aussi dans les communautés ethniques, mais parce qu’elle est Américaine, divorcée et surtout « woke » (terme hype qui désigne des personnalités « en éveil », qui s’érigent contre les injustices). Woke, ça ne passe pas…»

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Les tabloïds, qui la descendent régulièrement en flammes, ont-ils exagéré le poids de cette self-made business woman ? « Le Palais a en tout cas sous-estimé au départ l’influence que pouvait avoir Meghan, plus âgée, plus déterminée en matière de carrière, plus fine et plus cosmopolite que le prince grâce à ses liens avec l’entertainment notamment. Et on a sous-estimé l’effet qu’elle pourrait avoir sur une personnalité troublée, plus faible, psychologiquement en crise et dépourvue de toute ambition professionnelle. Pour le dire clairement, Harry ne savait que faire de sa vie. C’est cela qui a été minimisé, avec les conséquences importantes que l’on sait. »

« Il n’y a rien de glamour à baptiser des navires »

Meghan aurait, quant à elle, mal évalué les impératifs de la fonction. Ne percevant que les reflets flatteurs d’un poste privilégié, une position qu’elle a imaginée comme influente sans doute, et archi-protégée. « Son erreur fondamentale », poursuit Marc Roche, « a été de ne pas voir que les fastes de la Cour, cette vie sous cloche dorée, avec sécurité, domestiques et impact médiatique, avaient un verso. Ce verso qu’elle n’a pas vu venir, ce sont les charges royales, les fonctions de représentation qui, particulièrement pour les membres « inférieurs » de la famille royale, sont très ennuyeuses. Il n’y a rien de glamour à baptiser des navires, à rendre visite à des régiments, à couper des rubans. Or c’est ça l’ABC de la monarchie. Meghan a voulu le beurre et l’argent du beurre. Comme la reine l’a fait remarquer : on ne peut pas être membre de la famille royale à mi-temps. »

Accusations de racisme ? Charles et William, « très supporters de la société multiculturelle »

Dans leur interview de mars sur CBS, le couple Meghan-Harry ont évoqué une pression médiatique écrasante, de même que le racisme de la presse britannique. « Les retombées de l’émission, vue par 17 millions d’Américains puis par 11 millions de téléspectateurs au Royaume-Uni, se feront sentir à travers les générations, comme pour celle de Diana en 1995 », note alors Andrew Morton, biographe de Lady Di. Ils ont mentionné des échanges au sein de la famille royale sur la couleur de peau qu’aurait leur fils Archie, avant sa naissance. Harry avait précisé que ces commentaires racistes n’étaient le fait ni de la reine, ni du prince Philip. La réponse du Palais fut éminemment diplomatique et un brin condescendante : « Toute la famille est attristée d’apprendre à quel point ces dernières années ont été difficiles pour Harry et Meghan », soulignant que le couple et leur fils, Archie, « seront toujours des membres de la famille très aimés ».

Si la princesse Anne a été citée en tant qu’auteure « potentielle » de ces propos dégradants. Marc Roche ne commente pas ce point. « Harry n’a jamais donné de nom », souligne-t-il. « Une majorité du public estime que Meghan a inventé ce point. D’autre part, la famille royale britannique est moins raciste que le Britannique moyen. Charles et William ont toujours été très éclairés et très supporters de la société multiculturelle via leurs actions philanthropiques. Harry par ailleurs n’a pas de leçon à donner. Rappelons l’épisode où il s’était affublé d’un déguisement nazi. Et le fait qu’il a traité de « Paki », une insulte profonde en Grande-Bretagne, un de ses officiers issus de l’immigration du sous-continent indien… »

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Ce trait peut rappeler, dans son inconséquence, sa légèreté, sa rudesse aussi, certaines réflexions dont le prince Philip était coutumier, lui qui fit régulièrement les choux gras des médias pour des sorties lourdingues et d’une « political incorrectness » à décorner les bœufs. « Le prince Philip était un homme du colonialisme. » Un homme éduqué à la dure, isolé de sa famille. « Mais il n’était pas plus raciste que d’autres membres de la famille royale. Quant à Harry il s’est mis à parler comme les soldats parlent. »Les faits d’armes de Harry, dont se délecte le lectorat des tabloïds depuis des lustres deviennent purement verbaux. Un logorrhée qui semble inépuisable. « Les dernières péripéties, cette sortie dans laquelle Harry a blâmé l’éducation reçue de son père et, critiqué indirectement Elizabeth II et le prince Philip pour la manière dont ils ont élevé les enfants royaux, a mis le feu aux poudres. Parce que d’abord Elizabeth II, veuve, est intouchable. Elle est jugée vulnérable en raison du décès de son mari après 73 ans d’union. Elle a 95 ans et est au sommet de sa popularité. »

« La ‘réconciliation’ aux funérailles : une piètre opération de com »

C’est en priorité la multiplication des diatribes de Harry qui aurait surtout heurté certaines mentalités. Ces sorties médiatiques en cascade dont il semble se repaître.

« On pensait qu’après le déballage avec Oprah Winfrey, la réconciliation affichée lois des funérailles et les discussions avec son père avaient un tantinet normalisé la relation mais ce n’était qu’une piètre opération de relations publiques du Palais, cette réconciliation était du toc. »Dans le cortège pédestre suivant le cercueil, les princes Harry et William étaient séparés par leur cousin Peter Phillips, ce qui avait, en amont, alimenté des spéculations sur des tensions entre les frères. L’économiste et chroniqueur royal qualifie cette séparation téléguidée de « ridicule ». « Elle avait suscité en amont des réactions négatives de la presse, y compris royaliste. Il fallait donc réagir. »

Pour y répondre, le “Palais”, via son équipe de communication, a prévu un échange entre les deux frères. Mais le « Palais », dénonce Marc Roche, s’y est mal pris. « Le ‘Palais’, ce sont en fait les collaborateurs de la reine, des princes Charles et William qui ont tous des “cours” différentes. Ces équipes agissent donc sur ordre des “royals”. C’est un monde “top down”, très hiérarchisé. Il n’est pas question que la moindre indiscrétion du Palais se fasse sans l’approbation explicite du monarque, de l’héritier au trône, ou du second. »Marc Roche le dit encore : cet échange relevait de la « réconciliation de boulevard ». C’est, insiste-t-il, « venu de la reine qui les a contraints à parler ». Un mauvais choix en termes de com, que la presse a mis, à tort, sur le compte de Kate Middleton, la présentant comme « l’orfèvre » d’un rapprochement fraternel. « Cette interprétation vient du fait que Kate s’est éloignée de William et Harry pour les laisser « dialoguer ». C’était en fait une piètre chorégraphie autour d’un échange entre les frères dont on ignore la teneur mais qui était vraisemblablement de pure forme… »Il est prévu que Harry revienne en juillet au Royaume-Uni pour l’inauguration d’une statue de Lady Di. “Cette cérémonie était prévue de longue date comme un geste de réconciliation. Elle avait été annoncée bien avant les funérailles du prince Philip. » On apprenait récemment que les deux frères feraient des discours séparément.

« Il ne colle pas à la vulgate de la royauté »

Harry rallie certains suffrages bien sûr. Il divise tout en conservant, outre-Atlantique notamment, une belle notoriété et un certain potentiel sympathie. En Grande-Bretagne en revanche, son profil et celui de Meghan accusent une chute de popularité.« Il provoque à la fois une réaction positive, façon ce pauvre gars qui a souffert, et négative bien sûr. Dans la haute société british, on ne montre jamais ses sentiments. Il colle à l’époque en se livrant comme il l’a fait, mais il ne colle pas du tout à la vulgate de la royauté. Par ailleurs, le problème de Harry, d’autres l’ont connu avant lui : Andrew, Anne, le duc de Windsor, Margaret, Lord Mountbatten, et même la reine-mère… Que faire avec cette famille pléthorique où il n’y a pas place pour tout le monde. C’est la cruauté du système basé sur la primogéniture de l’âge.»

Hipster de la Silicon Valley

Le musée Tussauds à Londres rouvrait récemment ses portes. Rappelons, pour l’anecdote, que le couple Meghan Harry, qui a quitté ses fonctions de « senior membres of the royal family » après son installation en Amérique du Nord y a été déplacé de la section « House of Windsor » à celle des « Awards Party”, peuplée entre autres de figures du 7e Art.Harry, le royal rejeton, aux allures de hipster façon côte Ouest, catapulté au poste de senior executive d’une start-up californienne, prend plaisir à s’afficher à la cool. En « woke » sacrément éclairé, pour reprendre cette expression consacrée. Il affiche désormais l’image du père nouvelle vague, enfant sur le ventre et bonnet post grungy. Quelles sont les limites de son action, de sa production ? Que peut il faire en termes de soutien aux charities ? Jusqu’où peut-il monnayer ses infos « royales », fussent-elles de simples « sensations » ?« Il semble construire sa carrière autour de docus liés de près aux secrets de la famille royale », confirme Marc Roche, « mais il faut se souvenir évidemment que Harry ne fait pas partie du cercle premier, contrairement à Charles ou William. Il peut donc relayer des rumeurs, colporter des ragots, évoquer des expériences personnelles… »

Sa propension à se « confier » en utilisant les médias, dont il ne se lasse pas par ailleurs de dénoncer la nocivité, semble avoir peu de limites. L’arme est pourtant à double tranchant. Il faut, pour exceller dans ce job, manier la communication avec finesse. Un art consommé que Harry ne maîtrise qu’à l’instinct, conseillé par un entourage américain, et par son épouse qui est davantage au fait des règles en cours dans l’entertainment. L’opinion publique s’est déjà, en partie, retournée contre lui.« Le type de périple dans lequel s’est engagé Harry a un effet boule de neige. On peut s’attendre à des révélations de plus en plus controversées vu qu’il est totalement coupé de la réalité britannique et pris dans cette espèce de culture hollywoodienne des célébrités. On est à un point de non-retour. La monarchie dispose d’un atout-clé qui va faire mal : la possibilité de leur retirer leur titre de duc et duchesse de Sussex auquel ils tiennent beaucoup et qui leur a été accordé au mariage. Au-delà, leur sort ressemble étrangement à celui du duc et de la duchesse de Windsor, un royal qui a épousé une Américaine divorcée. »

Si, à terme, le couple devait se séparer, cela pourrait-il favoriser une réintégration de Harry dans ses fonctions princières officielles, en imaginant qu’il en exprime un jour le souhait ? « Le seul scénario dans lequel une réconciliation avec son père et son frère est possible, serait dans le cadre d’un divorce avec Meghan. Il devrait faire amende honorable. Il faudrait aussi qu’il mette toute cette rébellion sur le compte de son ex-femme et de la fragilité de sa santé mentale. Il serait alors accueilli en héros mais je ne crois pas du tout à ce scénario. Parce que le mariage me semble solide et parce que Harry, dans sa propre fragilité psychique et peut-être sous la pression de sa femme, reste dans une logique de confrontation. »

« Une affaire institutionnelle et familiale »

Entre déballage en haut lieu et drame shakespearien, l’affaire Harry nourrit la presse, plus encore que l’affaire dite Andrew, embringué dans les remous du scandale Epstein. « L’affaire Andrew est une affaire criminelle. Elle est associée à ses liens avec un pédophile, à des parties fines et au fait que le FBI veuille interroger le prince. L’affaire Meghan-Harry est à la fois institutionnelle et familiale. Institutionnelle car elle secoue la monarchie au cœur dans son identité, et familiale car c’est les Borgia ou les Rougon-Macquart de Zola, des clans qui s’entre-déchirent autour de l’amour, du sexe, du pouvoir… »

Mais ceci ne remet pas en cause, jusqu’à nouvel ordre, la viabilité et l’apparente résistance de la monarchie, entre « anachronisme» et business familial. C’est un « bon rapport qualité prix » qui la sauve, indique Marc Roche en gros. De même que ce qu’elle incarne en termes de passé et d’unité, comme le rappelait Le Monde. Un peu de tout cela en réalité. Reste à imaginer comment l’histoire britannique évaluera le couple qui a voulu “briser le cycle”. « Entre 50 et 60 % des gens soutiennent la monarchie en Grande-Bretagne mais quand on y regarde de près, il existe des fossés entre générations. Les principaux soutiens de la monarchie sont plus âgés. »Elizabeth II a manqué, dit-on, une occasion en or d’actualiser le blason, de faire sinon un reset, du moins un update du meilleur goût. « Meghan devait lui permettre d’accrocher une nouvelle génération écolo, féministe, antiraciste de gauche mais ça n’a pas pris. Un problème de génération sans doute. Ensuite Meghan devait ancrer la monarchie aux minorités ethniques, ce à quoi s’attachent Charles et William via leurs mouvements caritatifs et anti-racisme. Mais la carte Meghan a échoué. Sa cote de popularité ainsi que celle de Harry ont chuté dans les sondages. Parallèlement à ces péripéties, on a assisté ces derniers mois, en raison sans doute de la pandémie, à une montée du sentiment monarchique. »

Article paru dans Paris Match Belgique le 20/05/21

(*) Marc Roche est chroniqueur au Soir et au Point, réalisateur de documentaires financiers, auteur et spécialiste de la monarchie britannique. Son dernier ouvrage dans le domaine : “Elle ne voulait pas être reine”, éd. Albin Michel, 2018.