NFT : manque d'éthique, escroquerie, spéculation… le côté obscur du jeton

NFT : manque d'éthique, escroquerie, spéculation… le côté obscur du jeton

« La seule chose que nous voulions faire était de nous assurer que les artistes pouvaient gagner de l’argent et avoir le contrôle de leur travail. Mais rien ne s’est passé comme prévu », regrettait amèrement Anil Dash, l’un des pères des NFT, dans le magazine américain The Atlantic, en avril dernier. Selon lui, sa technologie, qui permet de vendre et d'acheter des objets numériques de manière décentralisée, n'a plus grand-chose à voir avec son idéal. À l’origine, il s'agissait de réagir au gigantesque pouvoir de reproduction des œuvres artistiques permis par le web. Une vague que les États ont vainement tenté d’endiguer, notamment avec le dispositif Hadopi en France.

L'entrepreneur Anil Dash et de son collègue Kevin McCoy ont donc imaginé un certificat de propriété numérique, attaché à une œuvre immatérielle et unique, qui permet de la monétiser. C'est en utilisant cette technique que le premier SMS de l'histoire a pu être vendu par une maison de vente aux enchères française en fin d'année dernière. Un message anodin : « Merry Christmas », vendu 107 000 euros.

Dérives

Loin de son objectif initial, cette invention est devenue une immense machine à spéculer. Les NFT s’achètent en effet en cryptomonnaies, dont la valeur a connu une croissance fulgurante. Et comme les heureux détenteurs de cryptomonnaies ne peuvent pas directement acheter des yachts avec leur monnaie virtuelle, ils ont tendance à acheter des NFT. Le marché de l'art est ainsi entré dans une profonde révolution l'année dernière. En 2021, près de 41 milliards de dollars ont été dépensés en NFT, selon Chainalysis, un groupe d’analyse des cryptomonnaies. Soit presque autant que la valeur du marché mondial de l’art classique. Certains y voient une promesse d'avenir. D'autres s'inquiètent de cette fièvre spéculative, qui s'accompagne de spectaculaires dérives.

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Ces derniers jours, un chirurgien de l’AP-HP (Assistance Publique - Hôpitaux de Paris) a tenté de vendre la radio d’une des victimes des attentats du 13 novembre sous la forme d’un NFT. Sur l’image médicale, une balle est logée dans un avant-bras. Le tout a été mis en vente sur un site de vente aux enchères de NFT, accompagné de quelques explications fournies par le chirurgien sur le contexte dans lequel cette radio a été réalisée. Selon l’avocate de la victime, ces commentaires peuvent permettre d'identifier la victime. L’affaire, révélée par Mediapart, a déclenché un tollé à l’AP-HP. Le parquet de Paris a ouvert une enquête rapporte BFMTV ce mardi 25 janvier pour « violation du secret professionnel », les investigations ont été confiées à la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP).

NFT : manque d'éthique, escroquerie, spéculation… le côté obscur du jeton

Le droit pose des limites

L'affaire pose d'évidentes questions éthiques, d'autant que, théoriquement, tout semble pouvoir être transformé en NFT et donc vendu. La cession d'un tel bien immatériel peut s'effectuer d'un vendeur à un acheteur, sans intervention d'un tiers, ce qui revient à se reposer sur la conscience des deux parties. Toutefois, « il n’est pas légal de vendre n’importe quoi en tant que NFT. Tous les droits attachés à la propriété trouvent à s’appliquer, tout comme la dignité de la personne », indique l'avocat Vincent Varet, spécialiste de la propriété intellectuelle et des technologies, interrogé par Marianne. Selon ce juriste, si aucune réglementation spécifique ne concerne pour le moment ces NFT, le droit pose tout de même des limites.

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Le vendeur reste donc responsable de son objet sur le plan juridique. Ce qui n'est pas nécessairement le cas des hébergeurs. En l'occurrence, la radio de la victime des attentats était proposée à la vente sur le site américain OpenSea, qui n'a pas l'obligation de vérifier si le contenu qu'il héberge est légal ou non. « Depuis 2000, le droit européen confère une responsabilité allégée aux hébergeurs. On considère qu'ils ne font que stocker des contenus de manière passive. Ils n’ont donc pas d’obligation de contrôler la licéité du contenu. Ils ont seulement l’obligation de supprimer le contenu, s’il leur est signalé comme illicite. Cela pourrait changer dans les prochains mois avec l’adoption du DSA, un grand règlement européen qui pourrait conférer des obligations supplémentaires aux hébergeurs », explique l'avocat Vincent Varet.

Escrocs et pigeons

Ces dernières semaines, les procédures judiciaires se multiplient en matière de NFT. Le groupe de luxe Hermès vient d'engager des poursuites à New-York contre un artiste qui a créé des NFT, représentant des sacs en fourrure, très inspirés du Birkin, le célèbre sac de la marque. Hermès estime qu'il s'agit d'un vol de sa propriété. L'artiste se retranche derrière la création artistique et se défend d'être un spéculateur. Ces sacs, qui n'ont aucune existence physique, sont vendus plusieurs milliers de dollars.

Au-delà, la fièvre qui entoure ces jetons attire de plus en plus d'escrocs qui profitent de ce secteur non réglementé. Ils piratent les portefeuilles de certains propriétaires ou vendent tout simplement des produits qui n'existent pas. Ainsi, au mois d'octobre dernier, un développeur anonyme qui avait proposé d'investir dans la création d'un jeu vidéo a disparu du jour au lendemain, emportant l'équivalent de 2,7 millions de dollars, raconte Motherboard.

Gabegie énergétique

Enfin, les NFT pèchent aussi par leur empreinte écologique. Pour être authentifié, chaque échange doit être vérifié par d'autres utilisateurs du réseau, appelés des mineurs. C'est le principe de la blockchain, sur laquelle reposent le système des NFT. Pour cela, les ordinateurs des mineurs doivent résoudre des formules très complexes et surtout très consommatrices en énergie.

Chaque année, la création et la dépense de bitcoins, qui reposent sur le même système, consomment davantage d’électricité que la Finlande, selon une étude de l'université de Cambridge. Une gabegie très polluante que certains entrepreneurs tentent toutefois de limiter en inventant de nouvelles techniques moins consommatrices d'énergie.

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