Chocapic, Crunch, Frosties, Smacks, Lion, Miel Pops et bien d'autres. Une cinquantaine de céréales et de couleurs s'affichent sur les étagères du premier bar à céréales parisien. Cé-réaliste a déménagé depuis peu près du Musée Picasso. Après New York et Londres, la capitale se dotait de son dernier élément pour en faire le nouveau temple des hipsters: le si décrié bar à céréales. C'était en mars de l'année dernière. Et derrière le buzz de l'ouverture, l'effet de mode et de nouveauté, les clients continuent à affluer. "Notre clientèle type, ce sont les 25-35 ans qui ont grandi dans les années 90 et qui veulent se mettre en mode régressif", analyse Fred Chauvet, cofondateur de l'enseigne avec 4 amis. Le lieu joue à fond la carte vintage avec de nombreuses figurines de super héros de comics en déco qui côtoient une PS3 avec quelques jeux mythiques.
La clientèle se presse toujours dans la boutique: de 60 à 70 clients en semaine, le double à partir du vendredi. Des touristes flanant dans le Marais aux banlieusards venus spécialement pour savourer un bol de céréales, la boutique brasse un public hétéroclite. Les prix proposés ne font pas tâches dans le très chic quartier parisien: 5,5 euros le petit bol, 6,5 pour le grand avec une majoration possible suivant les ingrédients. Des prix qui ont gonflé lors du déménagement de Beaubourg jusque dans le Marais car ils évoluaient au départ entre trois et cinq euros. "Pour les plus gourmands, on peut arriver à 8 euros mais cela va vous durer pendant des heures", précise le cofondateur de l'enseigne. Et à vrai dire vu la liste des ingrédients, le doute n'est pas permis: au choix de céréales, viennent s'ajouter un lait parmi une quinzaine de possibilités: lait de coco, de riz, de soja, d'amande, de noisette, etc... Sans oublier l'accompagnement choisi parmi les Kinder Country, M&M's, Oreo ou encore OJ Crunch. Cerise sur le gâteau la possibilité de rajouter des fruits coupés sur lesquels s'abattra une sauce au nutella, caramel ou encore beurre salé. Tout ce qu'il faut pour une glycémie à faire pâlir un diabétique.
Tout cela à déguster sur place ou à emporter dans une boutique où tout est ultra markétée. Le sol et les murs sont blancs immaculés, ornés de décorations mises en vente par des artistes pour l'occasion. "On a commencé dans l'événementiel dans la musique et dans l'art, résume Fred Chauvet. On vendait également notre marque de vêtements, Louis Cochon. On a eu besoin d'une partie food. Du coup lors d'une soirée arrosée, on a pensé au bar à céréales". Et de fait le bar à céréales n'est qu'un élément du concept store mis sur pied par les cinq amis. Une partie épicerie américaine avec des produits importés, dont des céréales, côtoient des jeux de société comme le Monopoly Nintendo ou encore des figurines Star Wars. A côté les vêtements de la marque des compères sont en vente comme les oeuvres d'art. Au sous-sol se trouve même, La ruche, un salon de tatouage.
Mais quel était le business model de ce véritable concept store contenant un bar à céréales? "Si on avait seulement un bar à céréales, cela ne pourrait pas être rentable dans un quartier comme Le Marais vu les loyers pratiqués, détaille Fred Chauvet. Mais nous n'avons jamais fait notre business-plan uniquement sur le bar à céréales car on vend beaucoup de vêtements et de produits d'épicerie. On réalise aussi des prestations à l'extérieur. Ici tout est vendable mis à part les vendeurs". Une manière de se différencier des concurrents arrivés sur le marché et qui centrent leur business model souvent sur les seules céréales.
L'endroit a été financé en propre par les amis: 20.000 euros pour la première boutique proche de Beaubourg et 80.000 pour celle du Marais. "Quand on a proposé un bar à céréales aux banques, elles se sont montrées forcément très réticentes", s'amuse le cofondateur de Cé-réaliste. Et des projets d'ouverture prochainement en franchise en France et à l'étranger sont à l'étude.
Alors qu'un bar à céréales de Londres avait été attaqué en septembre 2015 par des militants anti-gentrification à Shoreditch, Cé-réaliste écarte tout procès d'intention en la matière. "Tous les fondateurs viennent de banlieue parisienne, d'un milieu où on a appris à se faire par nous-mêmes, se défend le cofondateur de l'enseigne. Des mecs du 93 qui gentrifient Le Marais, je pense que ce n'est pas possible". Avant de lâcher un petit tacle codé à la concurrence: "On serait dans le XVIIIème oui mais dans Le Marais non".
Même discours pour Flakes, un bar à céréales qui a ouvert à l'automne 2016, à Ménilmontant (XXème), dans un quartier qui demeure encore majoritairement populaire. Là-aussi on refuse l'étiquette de gentrificateur. "Oui j'ai voulu créer un bar à céréales dans un quartier populaire car j'aime ce quartier" avance Cindy, sa cofondatrice trentenaire. La fondatrice, qui travaillait dans la pub à Seattle, se défend de participer à l'embourgeoisement du quartier: "Au début je ciblais les trentenaires qui pouvaient se laisser tenter par les codes régressifs et l'ambiance cocon d'un refuge qui rappelle l'enfance. Mais aujourd'hui j'ai des personnes âgées ou des femmes avec leurs enfants. Mon chiffre d'affaires est fait sur des locaux".
Et pour les amateurs qui n'auraient pas encore croisé un bar à céréales, le concept essaime partout: à Paris d'autres ouvertures sont dans les tuyaux, outre le Harper's à Jules Joffrin, Toulouse a depuis peu son Cereal Lovers Café et... Clermont Ferrand a aussi son Bol&Bagel Cereal bar monté par un couple franco-américain. Et les producteurs de céréales ne sont pas en reste avec Kellogg's qui a lancé son propre bar à céréales à New York. Selon l'enseigne, aucun projet du même type n'est à l'ordre du jour en France. Malgré tout, les amateurs de madeleine de Proust n'ont pas fini de ressasser leur passé chéri.