Comment les marques de luxe soldent sans l'avouer

Comment les marques de luxe soldent sans l'avouer

Les grandes griffes françaises -Dior, Chanel ou Vuitton- sont confrontées elles aussi à des problèmes d'invendus. Mais pas question de se délester de leurs stocks à grands renforts de publicité. La discrétion est de mise. Tour d'horizon.

"Vuitton ne fait jamais de soldes", répétait à l'envi Yves Carcelle, l’ancien patron de la marque. Dans le très haut-de-gamme, il est vrai, jamais vous ne verrez d'affiche rutilante dans les vitrines prônant une quelconque démarque. Et jamais leur porte-parole ne répond aux questions des journalistes sur ces sujets. "Dans le luxe, on ne discute pas les prix, car le prix du luxe est celui de l'intemporalité. Pas question qu'il fasse le yoyo" explique Jean-Noël Kapferer, spécialiste du luxe et professeur à l'Inseec Luxury Institute.

Pour autant, et bien qu'elles rechignent à le reconnaître, Chanel, Dior ou Hermès sont, comme leurs consoeurs moins haut de gamme, confrontées au problème des invendus. Moins que leurs homologues britanniques ou américaines, converties au "see now, buy now", qui consiste à vendre en magasin les modèles qui ont défilé le jour même. Pour du Dior, du Chanel et du Hermès, il faut toujours patienter six mois. Ces marques peuvent ainsi anticiper et produire des vêtements en fonction de l'attrait suscité par les pré-ventes. Mais avec le rythme accentué des collections, auxquelles se sont ajoutées les pré-collections et autres collections croisières, les grands noms du luxe se retrouvent avec des stocks toujours plus importants à liquider.

Jamais elles n'emploieront le terme "soldes"

Alors comment font-elles pour s'en délester sans casser leur image? Et comment se fait-il qu'en janvier, juin et juillet, elles aussi enregistrent auprès de la Fédération française du prêt-à-porter des chiffres d'affaires plus importants que les autres mois? En réalité, les griffes de luxe multiplient les opérations pour écouler les accessoires et vêtements qui n'ont pas trouvé preneur. C'est juste qu'elles n'emploient "jamais le terme 'soldes'", souligne Philippe Jourdan, expert en marketing et fondateur de Promise consulting.

À la différence des marques américaines comme Ralph Lauren ou Calvin Klein qui n'ont "aucun état d'âme à utiliser le circuit des outlets tous les jours", d'après Jean-Noël Kapferer, les grandes maisons françaises sont frileuses. Elles exigent une discrétion plus à même de garantir leur image d'exclusivité. Certaines acceptent par exemple de confier une partie de leur stock à l'un des seuls magasins d'usine ultra-luxe de l'Hexagone, la Vallée village, près de Disneyland. Mais elles ont négocié que leur nom n'apparaisse jamais directement dans les publicités, ni sur le site de ce centre commercial, rapporte Le Monde. Elles pratiquent un seul taux de démarque, connu à l'avance de leurs clientes, généralement situé autour de 30%, et ne "donnent pas dans la surenchère", à en croire Philippe Jourdan.

Des rabais non mentionnés sur l'étiquette

Comment les marques de luxe soldent sans l'avouer

Parfois, comme le montrait une enquête en caméra cachée de France 2, il y a bien quelques portants soldés en magasin. Le rabais ne s'affichent ni en vitrine, ni sur l'étiquette. Ce sont les vendeurs et vendeuses qui informent subrepticement les habituées. "Je peux acheter un article soldé alors que la personne à côté de moi va payer le même au prix fort", affirme un client fidèle dans le reportage.

Mais ces soldes qui ne disent pas leur nom, les marques les plus hype préfèrent les organiser hors de leur magasin. Hermès pour sa part, délocalise ses ventes privées, une fois l'an, au Palais des Congrès à Paris. Une opération sur laquelle le sellier de luxe ne communique pas. À peine publie-t-elle tardivement un minuscule encart dans Le Figaro. Qu'importe, le bouche-à-oreille suffit pour générer de gigantesques files d'attente à Porte Maillot.

On essaie au milieu de la foule

L'expérience d'achat n'a rien de comparable avec celle que vivent les clients de la rue du Faubourg Saint Honoré. Dans une cohue qui siérait peu à l'ambiance de la boutique historique, pour profiter de 40 à 60% de réduction, ces dames s'agglutinent dans une grande salle où n'est proposé aucun sac Birkin ou Kelly, mais plutôt des carrés dont les motifs n'ont pas convaincu.

Même principe pour Agnès B, dans un entrepôt du 10e arrondissement. Avec toujours autant de subtilité: les acheteuses sortent avec leurs achats dans un sac en plastique opaque, sans aucun nom de griffe dessus. Ou pour Vuitton, qui envoie au dernier moment des sms à ses clientes fidèles avec le nom du lieu et l'heure de ces ventes -pour le coup vraiment- privées.

Chanel, de son côté, conserve ses invendus pendant deux ans, avant de les proposer à l'espace Champerret, à Chantilly. On peut alors acheter un sac pour 10 ou 20% de sa valeur, à condition de faire des heures de queue, d'essayer au milieu de la foule puisqu'il n'y a pas de cabines, et de renoncer au 2.55, le sac emblématique qui, non seulement ne se démode jamais mais encore prend de la valeur avec le temps.

L'incinération en dernier recours

Autre méthode, toujours très sélective: dégriffer les invendus auprès du personnel, lors de ventes ultra-confidentielles. Ou encore, faire racheter une partie de sa marchandise à la poignée d'entreprises qui se partagent ce marché. Des acteurs de confiance du patron de Chiron, Maurice Goldberger, dit "Momo le nettoyeur", qui s'engagent à vendre confidentiellement à l'autre bout du monde.

Dernier recours pour se débarrasser des stocks: la destruction pure et simple. Challenges racontait ainsi en 2013 comment Hermès demandait à une dizaine de salariés soumis au secret de se rendre devant l'incinérateur de Saint-Ouen. Là, alors qu'arrivaient des camions chargés des plus beaux produits manufacturés par les artisans de la marque, ils devaient "vérifier que tout est effectivement détruit et que personne ne se sert au passage". Une pratique tabou, mais visiblement courante dans l'industrie du luxe. Selon Challenges, Chanel, Vuitton, Dior ou encore Prada feraient de même.

https://twitter.com/ninagodart Nina Godart Journaliste BFM Éco