Hermès, Kering, LVMH… En 2019, les mastodontes du luxe tricolore ont enregistré des bénéfices records portés, notamment, par le succès de leurs produits de maroquinerie et par leur croissance toujours plus forte en Asie. Mais la donne pourrait changer avec le coronavirus.
Entre les marques de luxe françaises et l'Asie, l'amour est au rendez-vous. Voilà plusieurs années déjà que le chic parisien connait un essor significatif dans les pays asiatiques, Chine et Corée du Sud en tête. En atteste, la dernière étude annuelle consacrée aux produits personnels de luxe publiée par le cabinet d’études américain Bain & Company.
>>> Téléchargez l’application BFM Business pour ne rien rater de l’actualité économique et financière
"Avec une croissance de 4% à taux de change constant, le marché du luxe dans son intégralité – incluant les produits personnels et les expériences de luxe – [a] atteint 1.300 milliards d’euros au niveau mondial" en 2019, explique le cabinet. Lequel précise que le segment des biens personnels de luxe a également enregistré l'an passé une croissance semblable de 4% à taux de change constant pour se fixer à 281 milliards d'euros.
Aussi, le fait qu'Hermès ait vu en 2019 son chiffre d'affaires progresser de 15% à taux de change courant et de 12% à taux constant est une jolie performance qui s'inscrit dans une dynamique plus globale. Celle d'un secteur qui, quelles que soient les tensions géopolitiques, ne connait pas la crise.
Dans le détail, le chiffre d'affaires du sellier-maroquinier a atteint 6,9 milliards d'euros l'an dernier. Une performance conforme aux consensus établis par les agences Factset et Bloomberg. En outre, son bénéfice net s'est établi à 1,5 milliard d'euros en 2019, soit une hausse de 9%.
De quoi forcément donner le sourire à son patron, Axel Dumas, qui a ainsi salué "une dynamique solide" et "des performances particulièrement remarquables cette année, grâce à une croissance équilibrée dans tous les métiers et toutes les zones géographiques".
Mais Hermès ne fait pas exception à la règle. En 2019, le groupe LVMH (Moët Hennessy Louis Vuitton), leader mondial des produits de luxe, a franchi la barre des 50 milliards de revenus (53,7 milliards d’euros précisément, soit une hausse de 15% par rapport à l'année précédente). L'an passé Kering (Gucci, Saint-Laurent, Boucheron, etc.) a généré un chiffre d'affaires de près de 15,883 milliards d'euros (+16,2% en données publiées et +13,3% en comparable par rapport à 2018), indique le groupe.
Des chiffres qui, dans tous les cas, attestent de l'exécution sans faille de stratégies finement rodées par les mastodontes du luxe tricolores. Et qui, au-delà de continuer à créer de la valeur et à unifier leurs canaux de distribution, donnent également la part belle à un marché asiatique qui le leur rend bien.
L'histoire d'amour entre les consommateurs chinois et le luxe dure déjà depuis plusieurs années. Dans un rapport publié en août 2019, la société de conseils McKinsey rappelait à quel point la Chine constituait un "moteur de la croissance mondiale dans les dépenses du luxe". Un moteur tel que les dépenses en question devraient, selon l'étude, "presque doubler d'ici 2025".
Il faut dire que les marques de luxe distribuées en Chine sont portées par le goût des ménages issus de la classe moyenne supérieure pour les produits de luxe. Les millennials participent du reste largement à cet essor. Ceux qui sont nés dans les années 80, détaille McKinsey, ont "grandi alors que la Chine est devenue une puissance économique et sont maintenant au sommet de leur carrière et de leurs revenus". Ceux nés dans les années 90 constituent de leur côté une "puissance émergente".
Résultat: malgré le ralentissement de la deuxième économie mondiale, la hausse des dépenses de la jeune génération chinoise incite aujourd'hui d'autant plus les mastodontes de la filière à moderniser leurs enseignes et à en ouvrir de nouvelles. En Chine, les consommateurs exigent des marques de luxe qu'elles leur apportent bien plus qu'un simple logo sur un sac à main.
Pour ce qui est des marques tricolores présentes en Chine, elles surfent par ailleurs sur une image qui rassurent les consommateurs chinois. Chanel et Hermès appartiennent aujourd'hui au cercle restreint des sociétés qui continuent de tirer leur épingle du jeu... malgré la chute de la croissance asiatique.
Mais dans ce paysage quasi-idyllique, les groupes français de luxe qui distribuent leurs produits en Chine commencent à douter. Non pas de l'inclination des consommateurs pour leurs produits, mais simplement de l'impact du coronavirus sur leurs ventes. Or, la Chine et l'Asie pèsent très lourds dans les comptes. La zone Asie-Pacifique (y compris Japon) représente ainsi 50% des ventes pour Hermès, 42% pour Kering et 37% pour LVMH (Asie et Japon seulement).
En début de semaine, le patron d'Hermès estimait qu'il était "encore trop tôt pour tirer des conclusions" concernant l'impact de l'épidémie de coronavirus sur l'activité du groupe.
"C'est tombé dans un pays important, à un moment important (durant le Nouvel an chinois, qui génère de fortes dépenses, NDLR). On a 43 magasins dans la région si on prend la Chine, Hong Kong, Macao et Taïwan: à un moment on a dû en fermer 11, aujourd'hui 4 sont encore fermés. On voit une renormalisation potentielle, mais il est encore trop tôt pour savoir quand arrivera l'effet rebond", a expliqué Axel Dumas, rappelant que la production d'Hermès était réalisée en France à 80%.
"A moyen terme, malgré les incertitudes économiques, géopolitiques et monétaires dans le monde", le groupe dit "confirmer un objectif de progression du chiffre d'affaires à taux constants ambitieux".
Du côté de LVMH, le son de cloche est sensiblement le même. Fin janvier, le géant du luxe français se disait également confiant quant à la poursuite de la croissance du groupe en 2020. Et ce, malgré là encore les incertitudes liées au coronavirus. A l'occasion d'une conférence de presse, Bernard Arnault, le patron de LVMH, indiquait qu'en 2020, comme les autres années, la conjoncture serait "porteuse".
Concernant l'impact du coronavirus, il estimait qu"il était du reste encore "trop tôt" pour évaluer son impact sur les vente du groupe. Précisant cependant, que tout était une question de durée. "Si cela dure deux mois ou deux mois et demi, [les conséquences] ne seront pas terribles. Si cela dure deux ans, c'est une autre histoire".
Sur le même sujetAinsi, dans le cas où l'épidémie de coronavirus viendrait à s'inscrire dans la durée, elle pourrait donc avoir un impact sur les ventes des groupes de luxe tricolore. D'autant que les géants en question se révèlent particulièrement dépendants des flux touristiques et des dépenses des consommateurs asiatiques. A commencer par les Chinois.
Julie Cohen-Heurton avec AFP