La nouvelle garde de cheffes à suivre de (très) près

La nouvelle garde de cheffes à suivre de (très) près
Food
Céline Pham, Alexia Dûchene, Zuri Camille de Zouza… Bien loin de la course aux étoiles et des contraintes du restaurant, cette nouvelle garde de cheffes réinvente sa façon de cuisiner. Plus libres, suivant leur instinct, nomades, leur créativité culinaire est en perpétuelle extension. Ultime pied de nez au diktat des brigades d’usage et leurs dérives parfois un brin machistes.

Par Jade SimonLa nouvelle garde de cheffes à suivre de (très) près La nouvelle garde de cheffes à suivre de (très) près

Qui n’a jamais été témoin, même furtivement, d’un léger haussement de sourcil quand on évoque les « chefFES ». Entre ceux qui tardent à se mettre à l’écriture inclusive et les autres qui clament que mettre en avant leur féminité c’est amoindrir leur talent culinaire, il y a encore un peu de progrès à faire quand il s’agit de reconnaître la place qu’occupe les femmes dans le monde de la gastronomie. Le malaise était d’ailleurs réel, en 2019, lorsque un chef triplement étoilé clamait, lors de la conférence du célèbre prix culinaire des « 50s Best » (récompensant les meilleurs restaurants à travers le monde), que le « rôle de la femme était d’enfanter» au milieu d’un casting aussi prestigieux qu’exclusivement masculin (Alain Passard, Mauro Colagreco… ). Il s’est depuis excusé, expliquant qu’il avait été maladroit et qu’elles avaient d’autant plus de mérite à cumuler les deux casquettes, pourtant le mal était fait. Brigades, chefs, commis… Une hiérarchie quasi militaire sévit depuis des décennies en cuisine. Et si certaines femmes ont parfaitement joué le jeu de leurs homologues (tenant leurs brigades d’une main de fer dans un gant de velours, raflant les étoiles et plus encore), d’autres ont décidé de réinventer les contours classiques de la toque.

Les cheffes nomades en France

Pionnière du genre, Céline Pham en est sûrement le meilleur exemple. Refusant de se laisser enfermer dans un rôle, une adresse ou un projet, elle fraye le plus souvent là où on ne l’attend pas. Derrière les menus de soirées de maison de mode, elle organise également des dîners privés, quand elle ne pilote pas des restaurants éphémères, ou inaugure le Drum Café au cœur de la tour Luma à Arles qui a ouvert ses portes l’été dernier. Sa cuisine est d’ailleurs elle aussi mouvante. Influencée parfois par ses racines vietnamiennes, elle penche vers le provençal quand elle réalise des recettes à 4 mains à La Chassagnette en Camargue. Quand elle n’explore pas les pâtes à l’italienne, les naans indiens ou le pain suivant un apprentissage chez Ten Belles. Dans le même esprit, Alexia Dûchene, première femme et plus jeune candidate à atteindre la demi-finale de la célèbre émission Top Chef, affirme avoir sciemment refusé les contraintes du restaurant, ses horaires stakhanovistes et la défiance d’une équipe masculine (et plus âgée) face à la moindre difficulté qui pouvait lui être incombée.

Talentueuse, elle préfère mener sa barque, posant son tablier en Turquie, pour un pop food éphémère aux côtés du collectif de chefs ONA mené par Luca Pronzato ou imaginant des plats pour Hermès et les milliers de voyageurs qui grimpent cet automne dans les trains de la SNCF. En attendant de partager, en janvier 2022, son amour des spécialités locales pour une série de documentaires gastronomiques qui sera diffusée sur Canal+. Elle explique d’ailleurs: ‘J’ai envie d’être plus libre. Aujourd’hui si je souhaite faire de la gastronomie et demain de la street food, je ne me ferme pas de porte. J’ai des projets d’ouvertures de restaurants mais j’aime garder cette liberté et cette créativité. Cuisiner un jour à NYC, puis en Turquie ou encore en Italie, me permet de me renouveler sans cesse ».

La nouvelle garde de cheffes à suivre de (très) près

Tandis qu’à Marseille, c’est Zuri Camille de Souza (formée notamment chez Yima) qui cuisine, selon ses envies, ses meilleurs souvenirs culinaires venus de Goa et de Pune, réinterprétés avec les bons produits du terroir phocéen. Parfois au cœur du restaurant de poche itinérant SANNA, qu’elle a ouvert à deux pas du vieux port, d’autres fois, elle cuisine sur des bateaux ou en collaboration avec Ivresse, un collectif de vins natures. “J’ai décidé de devenir une cheffe itinérante avec l’ouverture de SANNA en pleine pandémie. Après qu’on m’ait appelé pour m’annoncer que mon contrat dans le restaurant où je travaillais n’était pas renouvelé. J’ai senti que c’était le moment de m’adapter. Je me suis inspirée aussi de ces petits stands d’Inde, où entre un banian et un mur, on déguste des recettes fantastiques. Un restaurant c’est finalement plus l’idée de créer de la convivialité, d'accueillir et de nourrir plus que de générer du profit dans un endroit précis. Cuisiner pour moi c’est une forme de méditation, une danse de nuit d’été. C’est à travers elle que j’ai découvert mon identité d’enfant qui a oublié sa langue maternelle. Elle exprime la nostalgie de mes origines. Je crois dur comme fer à la transmission, d’autant plus à travers cette révolution féministe.”

Dans ce sillage de cheffes au CV solide, travaillant cependant au coup de cœur, émergent également des autodidactes, béquillées par les réseaux sociaux. C’est le cas de Zelikha Dinga qui a lancé Caro Diario. Un site de vente en ligne de gâteaux crémeux à l’américaine, mais réalisés avec la crème des produits français, où elle propose aussi ses talents de cheffe à domicile.”Quand on est indépendante, la liberté est très stimulante. Pouvoir être contacter pour des projets très différents (catering,food design, gâteaux…) Aucune journée ne ressemble à la précédente. Et bien sûr rencontrer des gens qui sont extérieurs au monde de la cuisine, c’est très excitant!” Inspiré par l’Italie et ses trattorias, comme les brasseries anglaises aux nappes blanches, sa cuisine mise sur des pâtes fraîches, des poissons en croûte de sel ou encore des pains de viande. Mandaté par Gucci pour signer le catering de sa dernière game night à Paris, ses créations sucrées peuvent évoquer l’esthétique de Laïla Gohar.

Artiste culinaire de talent qui utilise les aliments comme médium créatif et qui compte comme clients Comme des Garçons, Perrotin ou encore LVMH. Ultra créative, on lui doit notamment la mortadelle titanesque de l’inauguration des Galeries Lafayette Champs-Élysées, qui a fait scandale sur Twitter. Trait commun finalement à tous ces profiles, le caractère instantané, éphémère et le plus souvent privé qui existent dans ces nouvelles façons de cuisiner. Ses œuvres et autres menus, élaborés pendant des jours, sont vite engloutis et ont une fin annoncée. Éloge aussi de la spontanéité que l’on peut avoir plaisir à redécouvrir chez soi. Comme le montre si bien le duo The Social Food mené par Shirley Garrier et Mathieu Zouhairi dont la carrière s’est envolée pendant le confinement. Photographes culinaires et fins gourmets qui contraient la pandémie en réalisant leurs recettes sur Instagram (devenu un livre The socialfood : carnet de recettes à la maison) et qui ont largement collaboré à l’ouverture d’Amagat, table catalane où se presse désormais le tout Paris. Un escadron créatif qui invite finalement à repenser les structures institutionnelles, qui s’accompagnent de coûts financiers et moraux colossaux, exacerbés par les temps qui courent.Tout en faisant fi, au passage, aux injonctions perpétuelles à s’adapter, qui incombent toujours plus aux femmes, pour se concentrer (enfin) sur leurs propres buts.

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