Yves Saint Laurent: visite guidée en six musées

Yves Saint Laurent: visite guidée en six musées

Ce bouquet d’expositions traverse six institutions parisiennes de ses ponctuations précises. C’est une démonstration quasi musicale du talent d’Yves Saint Laurent. Les musées parisiens sont d’emblée entrés dans ce jeu de regards qui va de l’art vers la haute couture, même si nombre d’entre eux - Louvre, Centre Pompidou, Orsay, Musée Picasso - ont changé de directeur au cours du projet. «Ses sources d’inspiration ont été multiples, art moderne, art qui lui était contemporain, art ancien, différentes civilisations, différentes périodes. Il a tout regardé, beaucoup regardé», insiste l’historienne de l’art Mouna Mekouar, qui partage le commissariat général avec Madison Cox, président de la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, et Stephan Janson, créateur de mode. «Saint Laurent était un grand collectionneur, un grand amateur d’art et de musées. C’est la première fois que ces institutions sont toutes réunies autour d’un seul et même artiste, qui plus est, un couturier. Chaque musée, par le savoir intime de ses conservateurs, a apporté ce qui fait son identité. Les expositions sont autonomes et interdépendantes. On peut en voir une, on peut les voir toutes. L’idée est de montrer, par exemple au Centre Pompidou, que Saint Laurent appartient au XXe siècle et annonce le XXIe

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• Musée du Louvre

Dans le palais des musées, l’accent est mis sur les arts décoratifs, le goût pour le grand décor et l’apparat. Certaines des vestes Saint Laurent sont des parures, des objets d’art à part entière (veste Miroir brisé en velours noir et broderie d’or, d’argent et rhodoïd, automne-hiver 1978). Plutôt que mettre en avant son amour pour Goya, Vélasquez, Boucher, Watteau, les vases grecs antiques ou sumériens, c’est la galerie d’Apollon qui a été choisie pour installer sous vitrines quatre vestes bijoux afin de respecter la scénographie du Louvre - c’est le seul musée du parcours où les pièces Saint Laurent sont ainsi montrées. Voici donc Hommage à ma maison, entièrement faite de cristal de roche, brodée et bordée d’or, qui rappelle Versailles, la galerie des Glaces et bien sûr la galerie d’Apollon, qui est la préfiguration de la galerie des Glaces. Non loin bat le cœur noir et rouge que le couturier faisait rituellement porter à l’une de ses muses au final des défilés. Un objet fétiche en simple strass et cabochons de cristal, qu’il a lui-même dessiné en 1962. «Le Louvre a accepté qu’on le mette non loin des bijoux de la Couronne. Ce cœur montre comment Saint Laurent célèbre la joaillerie française», souligne Mouna Mekouar, «très émue de pouvoir exposer Saint Laurent dans cet écrin».

• Centre Pompidou

Le parti pris est celui de la note, juste, unique, qui fait mouche. Quelques pièces, si fines, si fortes, recomposent avec leurs maîtres d’origine un dialogue instantané de formes, de lignes, de couleurs, qui surprend par son évidence et son harmonie (robe noire épurée, échancrée à la taille de 1965, à côté de la grande huile sur toile d’Ellsworth Kelly, Black White, 1988). Les collections d’art moderne du Centre Pompidou ont accueilli les modèles d’Yves Saint Laurent réduits à l’épure, sans accessoires - ni chaussures, ni chapeaux et bijoux. Juste des dessins dans l’espace et le miroitement de la matière (manteau en fourrure de renard vert à côté de Martial Raysse et de son Made in Japan. La grande odalisque, 1964, en clin d’œil à Ingres).

Yves Saint Laurent: visite guidée en six musées

On suit ainsi la façon dont Saint Laurent s’inspira du sens de la couleur de Matisse telle La Blouse roumaine (1940), réinterprétée directement à partir du tableau par Saint Laurent en 1981. De l’importance du dessin propre à Picasso à l’image de la cape de drap de laine brodée de paillettes (automne-hiver 1988), face au chef-d’œuvre, Le Violon (1914). Des motifs stylisés de Fernand Léger et de l’énergie chromatique des Delaunay, visibles dans cette robe du soir en faille moirée Hommage à Pablo Picasso (1979) face à Rythme, Joie de vivre de Robert Delaunay (1930) et à Costume simultané de Sonia Delaunay (1916). Le couturier a participé à faire connaître Mondrian, il le disait lui-même, avec sa robe iconique de 1965. La première rétrospective en France de Mondrian date d’ailleurs de 1969, et l’acquisition par le Centre Pompidou, de 1975. La confrontation de cette robe linéaire de jersey de laine à côté de la fameuse Composition en rouge, bleu et blanc II, de 1927, est éloquente… Le manteau en raphia orange à col de macramé du printemps-été 1967, trône seul près du fabuleux mur de l’atelier d’André Breton, truffé d’art africain et océanien, évoquant l’appartement de la rue Fontaine à Paris, occupé par le poète jusqu’à sa mort en 1966.

• Musée Picasso

Picasso était pour Saint Laurent le génie à l’état pur. Il lui a dédié deux collections. «C’est donc un dialogue monographique, littéral et direct. Les vestes Hommage à Picasso sont présentées en regard des tableaux qui les ont inspirées», explique l’historienne de l’art marocaine (on lui doit la belle exposition «Luogo e Segni» à la Pointe de la Douane, à Venise, en 2019). Comme ce tableau où Picasso peint Nusch Éluard, vêtue comme un petit corsaire. Saint Laurent s’en inspira pour reconstituer à son idée la veste peinte (automne-hiver 1979), rendant un hommage indirect à Elsa Schiaparelli. «Chez Saint Laurent, il y a parfois deux ou trois sources d’inspiration pour un même vêtement. Il n’y a jamais un seul niveau de lecture.» En 1988, Saint Laurent fait encore l’éloge du cubisme et de Picasso à travers, entre autres, une veste dont l’association des formes et des tissus tend vers un cubisme assez doux mais révélateur. «La couture, au fond, n’est que structure et construction. S’inspirer du cubisme, c’est oser viser des formes décomposées. Comme les cubistes, Saint Laurent déconstruisait la couture pour la réinventer.»

• Musée d’art moderne de Paris

«On s’appuie sur l’esprit des lieux avec ses grandes installations monumentales autour de Dufy, Matisse, la salle Art déco que le musée a réaccrochée pour nous!», dévoile Mouna Mekouar. Les deux costumes de cinéma d’Anny Duperey réalisés par Saint Laurent pour Stavisky d’Alain Resnais (1973), un noir et un blanc, trouvent donc leur juste place et leur époque. Au MAM, l’accent est mis sur la couleur à l’image des blouses et jupes d’organzas délicats roses, violets, bleus, orangés du printemps-été 2001, en adéquation avec Bonnard, Le Déjeuner, vers 1932, et Le Jardin, 1936. Mais aussi sur la quête de Saint Laurent à mettre la couleur en mouvement. Jeu de correspondances entre couture et peinture avec le domino de faille du tisseur Taroni et son bustier d’organza du soyeux Bianchini, broderie de Brossin de Méré (automne-hiver 1984), qui renvoie aux ondes bleues de La Danse inachevée, de Matisse, chef-d’œuvre de 1931. Également à Mur de peintures, de Daniel Buren (20 toiles de 1966 à 1977 formant un tout en 1995), qui répond aux trois panneaux de La Danse, autre Matisse de 1931, où le rose apparaît. Des touches espiègles avec la trame chère à Alain Jacquet et son Déjeuner sur l’herbe, 1964, imprégnant ce blouson tricolore, printemps-été 1966.

• Fondation Pierre Bergé-Saint Laurent

Au 5, avenue Marceau, juste un pas en retrait pour raconter le processus créatif, du dessin à la toile et au patron. Et saluer ses ateliers. Les objets montrés ont un pouvoir très didactique: ils expliquent au public comment naît une pièce de couture à l’instar de la toile de la robe Hommage à Georges Braque du printemps-été 1988. Ils sont aussi des objets d’art à part entière. Comme les formes à chaussures et les formes à chapeaux en bois, de pures sculptures - l’équivalent d’un plâtre en négatif - qui n’ont jamais été montrées. Un patron renvoie, lui, à un dessin. Un clin d’œil à 3 stoppages-étalon, de Marcel Duchamp, «expérience faite en 1913 pour emprisonner et conserver des formes obtenues par le hasard, par mon hasard», selon les mots mêmes de l’artiste. «Jamais montrés non plus, ces patrons en toile sont d’une beauté inouïe, plus personne ne travaille comme ça. Ils traduisent la dévotion et l’amour de ceux qui les ont faits, même si ces patrons étaient ensuite cachés dans des enveloppes , précise Mouna Mekouar. Les immenses calques sont trop fragiles pour être exposés. Mais les empreintes de foulards à échelle 1, équivalent d’un BAT pour un livre, qui étaient envoyées aux soyeux, seront présentées. Ce sont des tableaux magnifiques de couleurs et de travail sur le motif.»

• Musée d’Orsay

Les possibilités étaient multiples, dialogues avec Van Gogh, Renoir, Manet, Burne-Jones, car Saint Laurent a beaucoup regardé le XIXe siècle. C’est Proust qui a été retenu tant l’écrivain lui était cher - il le relisait constamment, au point de s’identifier lui-même à Swann. Il cita Proust dans son dernier discours, recopiait des extraits de la Recherche, accrochés dans son studio. Son château en Normandie était dédié à l’auteur, chacune des chambres décorée selon un personnage. Le rez-de-chaussée était entièrement peint comme Les Nymphéas, de Monet, inspiration d’Elstir, figure de l’artiste idéal pour le narrateur. «Il y a aussi un dialogue avec l’horloge du Musée d’Orsay renvoyant au Bal Proust donné par le baron et la baronne de Rothschild en 1971, pour lequel Saint Laurent a fait plusieurs robes. Cela nous permet aussi de poser la question du genre chez lui, pas au XXe siècle, ce qui est tellement évident, mais au XIXe siècle, à travers ses smokings. Et Proust s’y prête parfaitement», commente la commissaire. Les photographies de Marie-Hélène de Rothschild, de la comtesse de Ribes, d’Hélène Rochas et de Jane Birkin par Cecil Beaton, en 1971, regardent les fameux portraits de Sarah Bernhardt par Félix Nadar en 1859 et en 1900. Dans ce même cabinet d’arts graphiques, la thématique proustienne se prolonge. «En 1957, alors qu’il était chez Dior, Saint Laurent avait déjà réalisé les croquis de coiffes pour le Bal des Têtes donné par le Baron de Rédé à Paris.» Comme dans le dernier chapitre de Proust, c’est vraiment Le Temps retrouvé.

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