Notre vie sous occasion, une autre manière de consommer

Notre vie sous occasion, une autre manière de consommer

Le réveil sonne, vous regardez les réseaux sur votre smartphone reconditionné. L’heure de s’habiller, vous enfilez votre jean et vos bijoux vintage. Des objets de luxe en passant par les meubles, les vêtements ou encore l’électronique, la seconde main est partout. Alors que se tient ce weekend la Braderie de Lille, qui a rassemblé l’année dernière entre 1,5 et 2 millions de visiteurs, le marché de l’occasion se porte bien en France, et connaît une nouvelle vie grâce au digital. Impulsé depuis déjà plusieurs années, ce secteur est estimé à 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires, d’après une estimation du cabinet d’études Xerfi.

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“Avec la crise économique, les Français ont connu une très forte baisse du pouvoir d’achat en 2012. Il y a alors eu cette nécessité de passer par ces outils pour consommer, explique Pascale Hébel, Directrice du Pôle Consommation et Entreprise du Crédoc. Dans une économie qui redémarre, le marché de l’occasion avait un petit peu baissé entre 2014 et 2015 : après des années de disette, la population avait la volonté d’acheter du neuf. Mais depuis, le secteur repart à la hausse.”

Evolution du rapport à l’objet

La motivation des consommateurs est d’abord économique, mais d’autres influences modifient leur comportement. “On remarque qu’il a de plus en plus un autre aspect à prendre en compte : celle de la résistance, d’une prise de pouvoir des citoyens par rapport à la société de consommation”, complète Aurélie Dehling, professeure associée à Kedge Business School. A cela s’ajoute appropriation de l’objet de seconde main, qui revêt une “forme d’unicité”, selon la professeure.

Pour les experts, c’est un secteur qui touche surtout les jeunes : ils ont souvent moins de moyens et leur rapport aux objets évolue. “Pour les générations anciennes, il est inimaginable qu’un cadeau soit d’occasion, note Pascale Hébel. Alors que les jeunes ont compris les enjeux financiers, écologiques et philosophiques.” D’après une étude OpinionWay pour Troc.com parue en décembre, 79% des 18-24 ans ne se disent pas opposés à la revente d’un cadeau de Noël.

Propulsé avec internet

Internet a aidé le marché de la seconde main à se démocratiser, grâce aux plateformes de mise en relation qui jouent un rôle de facilitateur. Du mythique Le Bon Coin, en passant par les grandes enseignes - Petit Bateau a lancé l’année dernière une application de vêtements d’occasion -, jusqu’aux startups fraîchement développées.

Notre vie sous occasion, une autre manière de consommer

En 2016, 44% des Français ont déjà acheté des biens d’occasion sur internet, alors qu’ils n’étaient que 27% en 2007, selon une étude du Crédoc. L’acheteur peut interagir avec le vendeur, lui poser des questions, comparer les produits, le tout de chez lui. “Beaucoup de gens ont du mal avec les interactions physiques avec des inconnus, comme dans les marchés aux puces, remarque Aurélie Dehling. Finalement, ce qu’on fait avec les rencontres amoureuses, c’est pareil pour l’occasion.”

C’est le pari de LuckyFind, une startup française spécialisée dans la brocante en ligne. Acheteurs et vendeurs monnayent des biens en tous genres : décoration, meubles, vêtements, etc. “Aujourd’hui, on observe un changement de mentalité. On va acheter un meuble en sachant que l’année d’après on va peut-être vouloir changer de décoration. C’est un mode de consommation qui change”, analyse Nabil El Mouden, cofondateur de la startup. A chaque transaction, LuckyFind, qui fête sa troisième année d’existence, prélève 10% plus 1€ de commission.

Un marché qui se professionnalise

Le retour du vintage et les effets de mode sur l’économie circulaire profitent aussi au secteur de l’occasion. Nabil El Mouden cherche à capter une clientèle plus jeune et pour ce faire, il compte mettre en avant les biens en vogue. “Pour la rentrée, c’est le retour des vêtements des années 1990. Nous allons jouer là-dessus”, précise-t-il.

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En 2016, quand Nabil El Monden a cofondé la startup, il souhaitait pallier le manque de sécurité et de paiement en ligne sur Le Bon Coin. Mais depuis peu, le groupe de petites annonces qui connaît une progression à deux chiffres de son chiffre d’affaires (257 millions d’euros l’année dernière) propose un service de paiement sécurisé.

Si la France reste très friande de la vente de biens de particuliers à particuliers, le marché de la seconde main tend à se professionnaliser. Dans l’électronique les consommateurs sont plus méfiants à acheter à un inconnu des produits à prix élevés. Une étude Kantar TNS et Recommerce souligne que seuls 20% des Français se disent prêts à acheter un téléphone d’occasion auprès d’un particulier, quand ils sont 60% à se dire intéressés chez un professionnel.

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Un filon exploité par les smartphones reconditionnés, dont 2 millions ont été vendus en 2017, soit 7% des ventes totales. ”A l’époque, le marché de l’occasion était en plein développement et le cycle des produits s’est accéléré. Il y avait un renouvellement permanent: les consommateurs changeaient de mobile tous les 18 et 24 mois et il n’existait pas de filière de reprise et de revente, c’était un marché entre les mains du C2C”, explique Patrick Richard, directeur commercial chez Recommerce.

La startup créée en 2009 propose de remettre en état des téléphones d’occasion, puis de les revendre entre 10% et 60% moins cher. Et ça fonctionne plutôt bien : la société enregistre un revenu de 45 millions d’euros, en progression de 30% sur deux ans.

Vers la fin des brocantes ?

Avec la recrudescence des sites internet de vente d’occasion, les brocantes et autres vide-greniers perdent de la vitesse. “Quand on va aux marchés au puces, on remarque que la population est très vieillissante. La brocante va davantage être une promenade, moins un lieu de consommation si l’on recherche un produit spécifique”, analyse Aurélie Dehling.

Même le livre, l’incontournable des vide-greniers, est pris d’assaut par les entreprises. Exit le mythique Gibert Jeune, des startups proposent désormais de vider les bibliothèques des particuliers. C’est le cas de Recyclivre, créée en 2008, qui vient prendre, gratuitement, des livres directement à domicile. En moyenne, ils récupèrent 250 ouvrages par client, avant de revendre la plupart pour quelques euros sur leur site. “On est arrivés avec une approche plus internet et techno par rapport aux acteurs historiques”, raconte David Lorrain, le fondateur.

Les marges de progression du marché de l’occasion, qui ne représente qu’1% des ventes du commerce de détail, restent considérables. Pour les experts, ce secteur bien implanté dans le quotidien des Français va continuer à prendre de l’ampleur. “Le partage de biens de consommation comme les machines à laver, les véhicules, etc. va se développer pour faire durer la vie des objets sans forcément les revendre et les racheter, notamment avec les biens sur lesquels il y a un impact écologique”, termine Pascale Hébel. Somme toute, davantage de consommation responsable et moins de productivisme.