L’argent avec un petit a de Janette Bertrand

L’argent avec un petit a de Janette Bertrand

À une semaine de ses 96 ans, Janette Bertrand n’a pas encore commencé à économiser pour ses vieux jours. Mais elle n’est pas un exemple à suivre, juge-t-elle dans un éclat de rire.

Publié le 14 mars 2021 Marie-Eve Fournier La Presse

Avez-vous peur de manquer d’argent à la retraite ? Pour bien des femmes, c’est une source sérieuse d’inquiétude pour les raisons qu’on connaît : des revenus généralement inférieurs à ceux des hommes et une espérance de vie supérieure.

Malheureusement, la pandémie a exacerbé ce stress financier selon divers sondages réalisés sur le sujet dans les derniers mois.

Janette Bertrand fait totalement bande à part.

Non seulement parce qu’elle travaille encore à son âge, mais aussi parce que l’argent n’a jamais été une préoccupation dans sa vie. Au bout du fil, comme si elle me connaissait depuis toujours, elle confie ne pas savoir combien lui rapportent ses projets. Elle a toujours travaillé pour se faire aimer, pas pour se mettre riche… L’argent, pour elle, c’est même « sale », en quelque sorte.

D’ailleurs, la communicatrice d’avant-garde a toujours confié à autrui la tâche de négocier ses cachets. Sinon, elle aurait fait le travail gratuitement. « On m’a dit de ne pas dire ça ! » Comprenez-la bien, elle a toujours aimé être payée, surtout qu’elle se considérait à l’époque comme « une fille qui ne valait rien ».

Vous penserez peut-être que Janette Bertrand peut se permettre ce détachement parce que son compte en banque est bien garni — ce qui est loin d’être le cas de tous les aînés. C’est vrai qu’elle a sans doute les moyens de s’acheter tout ce qui lui plaît. Mais les chiffres inscrits dans son relevé ne changent rien : « Je pense toujours que je n’ai pas d’argent. Je trouve tout cher. »

L’argent avec un petit a de Janette Bertrand

On appelle ça la simplicité volontaire. Ou vivre en dessous de ses moyens. Peu importe, la stratégie a fait ses preuves. Ce qui me fait dire que Janette Bertrand est, au contraire de ce qu’elle prétend, un exemple à suivre.

Pour elle, son mode de vie n’est pas une stratégie intentionnelle.

Élevée à une époque où c’était interdit de gaspiller — « surtout le pain » —, elle ne peut tout simplement pas s’empêcher d’être « très économe ». Pas pour se faire un magot. Juste pour respecter ses valeurs. Ça ne lui demande pas d’effort particulier, elle n’a aucune envie de luxe.

« Je n’ai pas de manteau de fourrure, de rang de perles. Ça ne m’intéresse pas. » Elle n’a jamais rêvé de posséder une vaste demeure, sa « solide » voiture roule depuis huit ans.

Avec son amoureux, Donald, qui consulte attentivement les circulaires, c’est l’harmonie financière. « Il est pire que moi ! Il regarde où le poulet est meilleur marché et c’est là qu’il va aller faire le marché. Cette semaine, me prévient-elle, le sirop d’érable est 4,99 $ chez PA, c’est une aubaine ! »

Mais Mme Bertrand, vous devez bien vous gâter parfois ? Qu’est-ce qui vous fait plaisir ? « Du chocolat. Ou un Mae West. J’adore ça. Froid, dans le frigo. Ou de la crème glacée. » Si elle apprécie les sucreries réconfortantes, elle ne court pas les grands restaurants. « Je trouve que ça ne vaut pas le coût de dépenser 200 $ dans un restaurant cher. Ça ne me dit rien. Ça ne me fait pas plaisir. »

Elle s’achète de beaux vêtements, par contre, pour les jours où elle est « en représentation », à la télévision.

L’argent, comme le sexe

La prolifique écrivaine à qui l’on doit l’inoubliable Parler pour parler est bien consciente qu’il n’est pas totalement rationnel, dans sa situation, de chercher le poulet en solde. C’est ce qui la fascine, justement, avec l’argent.

C’est très, très, lié à la psychologie. C’est très complexe. Personne n’a la même sexualité, la même libido et c’est la même chose pour le rapport avec l’argent. C’est aussi tordu.

Janette Bertrand

L’influence de l’Église, de nos parents, notre personnalité, nos valeurs, celles qui nous entourent et même nos carences émotionnelles sculptent notre façon de gérer les billets de 20 $ dans notre portefeuille et notre carte de crédit. Idem pour les placements, l’immobilier, la Bourse.

Janette Bertrand, qui a tellement écrit sur la sexualité, y voit plein de similitudes avec l’argent. « Il y a beaucoup de mensonges autour de l’argent. Chez les couples, c’est compliqué… », donne-t-elle comme exemple.

A-t-elle fait de bons ou de mauvais investissements au cours de sa longue vie ? Elle n’en a aucune idée, me jure-t-elle. Une personne de confiance gère tout ça à sa place. Depuis toujours.

Mais l’auteure à succès se souvient d’une anecdote qui illustre bien à quel point notre rapport à l’argent n’est pas toujours en adéquation avec la réalité. Au moment de son divorce, dans les années 80, elle était à la banque avec son ex-mari pour séparer leurs avoirs. « J’avais besoin d’une nouvelle paire de chaussures. Alors j’ai demandé au banquier si j’avais les moyens de m’en acheter. Ils sont tous partis à rire ! »

Pour votre anniversaire, Janette, faites-vous plaisir.