Droit du luxe : La contrefaçon de souliers masculins - LE MONDE DU DROIT : le magazine des professions juridiques

Droit du luxe : La contrefaçon de souliers masculins - LE MONDE DU DROIT : le magazine des professions juridiques

La chaussure est citée à l’Article L. 112-2 du Code de la Propriété Intellectuelle parmi les créationssusceptibles de constituer une œuvre de l’esprit au sens du droit d’auteur.

Au paragraphe 14, elle est assimilée aux industries saisonnières de l’habillement et de la parure,communément caractérisées par la nécessité, dictée par les exigences d’une mode encore cyclique, derenouveler fréquemment la forme de leurs produits.

Reste alors la question de l’originalité du modèle revendiqué, condition de son accès à une protectionpar le droit d’auteur.

Il est à ce sujet admis que l’effort créatif de l’auteur, caractérisant l’originalité d’une création de mode, est à apprécier au regard des contraintes techniques et culturelles liées au genre d’appartenance de l’objetconsidéré.

S’agissant de souliers masculins, la Jurisprudence a plus précisément reconnu l’existence de quatregenres : le richelieu, le mocassin, le soulier à guêtres et la bottine à élastique, dont il résultera nécessairement des caractéristiques communes, pour autant insuffisantes à caractériser l’originalité ausens de la Loi.

Il s’ensuit que l'effort créatif caractérisant l’originalité ne pourra porter que sur la combinaisond'éléments d'exécution, donnant au modèle revendiqué une physionomie particulière (voir notammenten ce sens : TGI Paris, 3ème ch., 3ème section, 14 février 2007, Aff. Berluti, Olga B. / De BeauxSouliers : « (…) dans le domaine de la chaussure masculine, les modèles offerts à la vente se rattachentà des genres (Derby, Mocassin, Soulier à guêtres, bottines à élastique) qui imposent à chacun unephysionomie générale et que, dès lors, l'effort créatif ne peut porter que sur la combinaison d'élémentsd'exécution qui donne au modèle classique ainsi recréé une physionomie particulière » ; voirégalement : TGI Paris, 3ème ch., 23 janv. 2001, Aff. Berluti, Olga B. / Gucci France : « En l'espèce, iln'est pas contesté que dans le domaine de la chaussure masculine classique, les modèles offerts à lavente se rattachent ainsi que le soutien GUCCI à quatre genres : le soulier à lacets de style « Richelieu », le mocassin, le soulier à guêtres et la bottine à élastique, ces quatre modèles génériquesimposant à chacun une physionomie générale propre. Eu égard à ces contraintes, le tribunal considèreque l'effort créatif dans ce domaine ne peut porter que sur la combinaison d'éléments d'exécution quidonne au modèle classique ainsi recréé une physionomie propre »).

En application de ces considérations à un modèle de mocassin, le Tribunal de Paris (toujours TGI Paris,3ème ch., 23 janv. 2001) a plus particulièrement relevé :

« que celui-ci est un mocassin à pampilles réalisé en une seule pièce de cuir comportant sur sa partieantérieure une ligne de perforations circulaires partant de part et d'autre et suivant le pourtour dusoulier délimitant un faux plateau ;

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- que s'il est exact que les éléments précités appartiennent au fonds commun de la chaussure masculine(pampilles ; réalisation de la chaussure en une seule pièce de cuir, utilisation d'une ligne de perforationspour constituer un effet de plateau), en revanche, leur combinaison appliquée sur un modèle de type« mocassin » est originale ; que d'ailleurs aucune des antériorités opposées ne portent sur un telmocassin ou s'en rapprochant ».

Confirmant cette décision sur son appréciation de l’originalité (et de la contrefaçon), la Cour d’Appelde Paris a, dans un arrêt du 16 janvier 2004, ajouté que :

« le choix de ces éléments qui ne présentent aucun caractère technique nécessaire révèle l’effort créatifde l’auteur par l’effet esthétique particulier qui en résulte ».

Dans sa définition de l’originalité du modèle revendiqué, le demandeur, sollicitant la protection de l’unde ses modèles, aura donc à faire preuve d’habileté rédactionnelle et devra trouver le bon dosage.

Il s’agira pour lui d’être suffisamment précis quant aux caractéristiques revendiquées, ajoutant à cellesrelevant simplement de l’appartenance au genre identifié et/ou aux éléments uniquement techniques, sans toutefois l’être de trop au risque de permettre au défendeur à l’action de multiplier les points dedifférences susceptibles d’exclure la qualification de contrefaçon.

Réciproquement, dès lors que l’antériorité invoquée pour contester l’originalité revendiquée (et/ou lanouveauté) s’inscrira dans un genre différent du modèle de soulier sollicitant la protection, sa pertinence pourra être critiquée.

C’est en ce sens que s’était prononcé le Tribunal de Paris, dans un jugement du 20 juin 2003 (TGI Paris, 3ème chambre, 20 juin 2003, Aff. Berluti, Olga B. / SDD, Bomend’s, Mend’s Distribution), ici à proposd’un modèle enregistré, retenant que :

« Attendu que la société BOMEND'S dénie également tout caractère original et nouveau à ce modèle créé par Madame Olga B et qui a fait l'objet d'un dépôt à l'INPI le 5 mai 2000 publié le 26 janvier 2001.

Attendu que Madame Olga B et la société BERLUTI revendiquent des droits sur un modèle dont ils décrivent les caractéristiques comme suit :

- un soulier Richelieu à cinq œillets,

- caractérisé par l'utilisation d'un lacet de cuir plat symbolisant un lasso et perforant le cuir de manièrerégulière,

- cette perforation étant réalisée le long de la couture du contrefort du talon et de celle du bas du coude pied perpendiculaire à l'axe longitudinal du soulier et située au dernier tiers avant de celui-ci.

Attendu que la société BOMEND'S oppose un modèle de chaussure que Monsieur N, gérant de la sociétéFERREIRA & NOVAIS, a certifié dans l'attestation précitée avoir créé au mois de novembre 1982 sousla référence 1826 ;

que cette antériorité est un mocassin qui comporte un lacet plat perforant le cuir non seulement le longde la couture du contrefort du talon et du bas du coup de pied mais également autour du coup de pied ; que ce mocassin est composé, en outre, de pampilles placées sur le dessus de la chaussure et d'un motifpiqué qui orne l'empeigne (i.e dessus d'une chaussure, du cou-de-pied jusqu'à la pointe) ;

que la physionomie de ce modèle, qui est de plus dépourvu d'œillets s'agissant d'un mocassin, estéloignée de celle du modèle invoqué par les demanderesses.

Attendu que si certaines des caractéristiques revendiquées par les demanderesses étaient connues dèsavant la création du modèle « Lasso » par Madame Olga B telle que la présence d'un lacet platperforant suivant un tracé régulier le contrefort de la chaussure et le milieu de l'empeigne, le modèleopposé en demande puise sa nouveauté dans son agencement propre et l'utilisation du lacet platperforant sur un escarpin dont les œillets sont décalés les uns par rapport aux autres ;

qu'il s'ensuit que ce modèle est nouveau et revêt un caractère propre au sens du livre V du Code de la propriété intellectuelle.

Attendu que les éléments qui composent le modèle « Lasso » révèlent, par leur choix et leur présentation, un effort créatif ; que ce modèle porte ainsi l'empreinte de la personnalité de son auteur ; qu'il est donc protégeable également par le droit d'auteur ».

Le modèle invoqué était le suivant :

Au-delà de permettre l’accès à la protection, la définition qui sera faite de l’originalité permettraégalement de circonscrire le périmètre de la protection octroyée.

Dans l’appréciation de la contrefaçon, il conviendra alors d’extraire de la comparaison les ressemblancesuniquement dictées par l’appartenance à un même genre, pour ne faire porter l’analyse, éventuellementconstitutive de contrefaçon, que sur celles originales (et/ou nouvelles).

Si ces ressemblances prévalent sur les différences, la contrefaçon pourra être caractérisée.

A contrario, dans un arrêt n°12/22322 du 5 février 2014, la Cour d’Appel de Paris a pu retenir que :

« Considérant qu’il résulte de l’examen comparatif auquel la cour s’est livrée, que la chaussure de lasociété B diffère du modèle « Golf » de la société W par les caractéristiques suivantes, tenant auxdimensions de l’empeigne, plus longue de 15 mm sur le modèle « H », à la configuration du plateaudont les bords sont plats et non pas surélevés ainsi qu’ils se présentent sur le modèle revendiqué, àl’ornementation du bord extérieur des quartiers et du contrefort arrière par une double surpiqûre, l’uneespacée de l’autre de plus d’un demi-centimètre, une seule surpiqûre étant constatée sur le modèle dela société W, au dessin des coutures sur le côté extérieur de la chaussure, le modèle « H » ne révélantpas les deux courbes légèrement ondulées, unies l’une à l’autre, évoquant des ailes de mouette quidécorent la chaussure de la société W, à l’absence de raccordement de la talonnette et des quartiers àl’inverse du modèle revendiqué dans lequel la talonnette et le quartier se raccordent en un point situéau-dessus de la trépointe (i.e bande de cuir entre deux cuirs cousus ensemble, pour renforcer la couture) étant ajouté que la talonnette du modèle « H » n’est pas rapportée à la base des quartiers tandis que,s’agissant du modèle « G » la talonnette est rapportée à la base des quartiers par une double piqûre ;

Considérant qu’il s’infère de ces constatations que les différences sont prépondérantes et que lescaractéristiques du modèle revendiqué ne sont pas reproduites de sorte que les modèles en causeproduisent une impression d’ensemble distincte, les seules ressemblances relevant de l’appartenancecommune à un même genre de chaussure Golf dont les pièces de la procédure montrent qu’il est apparuaux États-Unis et qu’il est connu en France depuis la fin des années 20 ;

Considérant que la contrefaçon n’étant pas, dans ces conditions, réalisée ».

Julie Curto, Fondatrice du cabinet Julie Curto Avocats

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