Exposition historique - Le Musée d’Orsay s’écrie «Enfin le cinéma!» à Paris

Exposition historique - Le Musée d’Orsay s’écrie «Enfin le cinéma!» à Paris
Accueil |Opinions |Bien-vivre & Luxe |

Exposition historique– Le Musée d’Orsay s’écrie «Enfin le cinéma!» à Paris

Pour le musée, tout est parti de l’idée de mouvement introduite par l’accélération du monde qui nous entoure. Cela nous vaut une belle prise de tête.

OpinionEtienne Dumont

Attention, prise de tête! Depuis la fin septembre, le Musée d’Orsay propose «Enfin le cinéma!» Le public s’attend en bonne logique à une histoire habilement racontée. Elle le mènerait des premiers jouets optiques à l’invention des frères Lumière révélée au public en décembre 1895. Une découverte dont la primauté demeura longtemps contestée par les Américains en raison du «kinétoscope» de Thomas Edison, commercialisé l’année précédente (1). Eh bien pas du tout! Les moindres détails de cette épopée sont considérés comme «bien connus» par Dominique Païni, l’un des trois commissaires de l’exposition. Un homme qui dirigea il est vrai la Cinémathèque française de 1991 à 2000. Il sait donc en principe de quoi il parle…

Alors de quel sujet traite la manifestation, logée au rez-de-chaussée du musée tout près du «Signac collectionneur» dont je viens de vous entretenir? Du «spectateur moderne». Celui-ci serait progressivement devenu à même, dans la seconde moitié du XIXe siècle, de comprendre et d’apprécier des images qui bougent. Les hommes et les femmes en seraient ainsi venus à souhaiter ce que Païni nomme une «urgence technologique et esthétique». Il s’agit, comme vous l’avez compris, du cinématographe. Il résumerait (au départ sans couleurs) les acquis de la métamorphose urbaine, des connaissances scientifiques, de la photographie, de l’électricité, de la reproduction mécanique des images, et j’en passe. Les frères Lumière auraient ainsi été un simple (mais génial) point de convergence. Il faut dire qu’avec un nom pareil!

On pourrait penser que le «spectateur moderne», que nous sommes selon lui encore, se verrait pris par la main. La chose eut été indispensable. Il fallait éviter que le public se perde parmi les méandres des idées et des salles de présentation. Tel ne se révèle pourtant pas le cas. Tout part du mythe de Pygmalion, rapporté par Ovide. La légende du sculpteur tombé amoureux de sa statue, qu’il désirait du coup animer. C’est là une idée de Paul Perrin, conservateur pour la peinture au Musée d’Orsay. Il y voyait sans doute l’occasion de présenter quelques tableaux, dont le célèbre Jean-Léon Gérôme exécuté en 1890. Le concept n’en reste pas moins cérébral. Hautement culturel. Il faut donc que le visiteur moyen se situe très au-dessus de ladite moyenne pour comprendre. L’exposition, dont le troisième commissaire est la spécialiste de la photo Marie Robert, va d’ailleurs faire assaut de culture à longueur de cimaises.

Exposition historique - Le Musée d’Orsay s’écrie «Enfin le cinéma!» à Paris

Le public se voit du coup sans cesse ballotté d’un sujet à l’autre. Mieux vaut qu’il possède des repères historiques. Il va lui falloir tout mettre en contexte. Et «Enfin le cinéma!» brasse large… Jugez-en plutôt! Il y a là progressivement (mais un peu aussi pêle-mêle) les rapides transformations de Paris commencées sous Napoléon III. La ville, qui semblait jusque-là immuable, change tout le temps, générant de fortes modifications sociales. C’est «La curée» selon Emile Zola. Pour Paul Perrin, elle devient ainsi «un paysage en soi, un spectacle qui sollicite sans cesse l’œil du passant.» Il y a la lumière, qui deviendra bientôt électrique. La foule des passants sur les nouveaux boulevards. Les grands magasins, ce qui permet de montrer le triptyque de Félix Vallotton sur «Le Bon Marché». Cette idée de fête visuelle va culminer lors des Expositions universelles: 1855, 1867, 1878, 1889 et surtout 1900. Cinquante millions de visiteurs pour cette dernière!

La preuve indiscutable

Loin des villes se perpétuent les mouvements de la nature. Le monde est animé. Il se voit éclairé par le soleil. Tout peut s’y voir observé et quantifié, des astres aux micro-organismes. Le résultat scientifique peut désormais se voir montré et diffusé par cette invention révolutionnaire que constitue la photographie à partir de 1839. «Elle se voit considérée comme un moyen de reproduction fiable face aux excès de l’imagination humaine et aux limites du dessin», rappelle Marie Robert. Ceci d’autant plus que la technique progresse à toute vitesse. Aux interminables temps de pose des débuts succède une image de plus en plus instantanée. Elle s’approche ainsi du cinéma. Ce dernier n’est jamais à ses débuts que seize plans fixes projetés par seconde (on passera ensuite à vingt, puis à vingt-quatre quand le film deviendra parlant).

Après avoir beaucoup promené le visiteur, qui aura aussi bien vu des tableaux impressionnistes (dont quatre «Cathédrale de Rouen» signées Claude Monet) donnant l’image de l’éphémère que des classiques du 8e art (la photo, donc), le visiteur peut enfin arriver au cinéma lui-même. Un médium tout sauf intellectuel. «C’était d’abord un spectacle réservé aux arrière-salles des cafés, aux baraques foraines ou aux grands magasins», explique Marie Robert. Autrement dit un divertissement populaire. C’est peu à peu qu’il tentera de gagner les classes bourgeoises en se rapprochant de la peinture ou en pillant la littérature. Il lui faudra pour cela posséder des salles luxueuses, conçues à l’image des théâtres. Il lui sera aussi nécessaire (mais là on sort apparemment du cadre de l’exposition) de se structurer financièrement. Pathé et Gaumont vont ainsi devenir des «trusts verticaux» allant de la production à la diffusion. La mutation sera effective vers 1908.

Est-ce parce que nous nous trouvons dans un musée dédié aux beaux-arts? Le cinéma lui-même reste paradoxalement le parent pauvre d’«Enfin le cinéma!» Il y a bien des projections sur des sortes de draps de lit pendant des plafonds. Une évocation sans doute des humbles débuts de ce que personne ne considérait encore comme un art. Ces écrans instables reçoivent une projection étrangement floue. Ce n’est pas flatteur pour les pionniers que sont les Lumière, Méliès ou les cinéastes bien vite professionnalisés travaillant dans les studios Pathé ou Gaumont. Les jeunes écrans montraient alors des images nettes.

Le parcours s’arrête plus ou moins là. Le public ressort un peu déboussolé. Il lui a fallu ingurgiter trop de choses en peu de temps. Et puis le visiteur a vaguement l’impression que tout s’est passé au-dessus de sa tête. Il n’y a pas que les écrans pour flotter dans les airs. La chose ne me semble pas nouvelle à Orsay, où les excès d’idées se voient heureusement compensés par la qualité des œuvres. J’ai éprouvé exactement la même sensation en quittant il y a quelques mois de «Les origines du monde». Ne serait-il pas possible de faire plus simple, plus factuel, plus accessible, plus didactique? De telles présentations rencontrent le succès commercial, certes. Mais il semble permis de considérer que les gens se promènent ici en badauds. Un peu comme sur les grands boulevards au XIXe siècle!

(1) Inutile de préciser (c’est pour cela que je le précise) que le nom d’Edison ne figure nulle part sur les murs de l’exposition.

Pratique

«Enfin le cinéma!» Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion d’Honneur, Paris, jusqu’au 16 janvier 2022. Tél. 00331 40 49 48 14, site www.musee-orsay.fr Ouvert du lundi au dimanche de 9h30 à 18h, le jeudi jusqu’à 21h45.

Né en 1948, Etienne Dumont a fait à Genève des études qui lui ont été peu utiles. Latin, grec, droit. Juriste raté, il a bifurqué vers le journalisme. Le plus souvent aux rubriques culturelles, il a travaillé de mars 1974 à mai 2013 à la "Tribune de Genève", en commençant par parler de cinéma. Sont ensuite venus les beaux-arts et les livres. A part ça, comme vous pouvez le voir, rien à signaler.

Plus d'infos

Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.

Thèmes

ParisCinémaExposition