Etam : les dessous d'un business florissant

Etam : les dessous d'un business florissant

ETAM DEVELOPPEMENT

Pendant ce temps, à l'initiative d'un autre industriel et commerçant visionnaire, le Français Martin Milchior, plusieurs boutiques de corseterie voient le jour en Belgique et dans le nord de la France. En 1933, il rachète une chaîne de 21 magasins, puis implante une usine de bonneterie à Mouvaux, près de Lille. Ainsi se déploie l'enseigne Setamil, acronyme de Société des Etablissements Milchior.

Survient la Seconde Guerre mondiale, qui va conduire ces deux entreprises familiales à se rapprocher. "Le capital avait explosé, les actionnaires et les intérêts étaient dispersés, raconte Laurent Milchior, le petit-fils de Martin, qui gère aujourd'hui Etam Développement. En 1958, à la mort de mon grand-père, mon père détenait encore six magasins. Il a fini par s'associer avec Lindemann, qui était son client et possédait une quinzaine de boutiques." Etablissements Meyer + Setamil : le nom d'Etam s'impose tout naturellement aux nouveaux partenaires.

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Du féminisme au porno chic

Toujours liées aujourd'hui - 80% du capital appartiennent aux Milchior Tarica et près de 15% aux Lindemann -, les deux familles ont traversé toutes les époques avec des hauts et des bas. Des bas, dans les années 1970, quand la lingerie n'a plus la cote, sacrifiée sur l'autel de la révolution féministe.

Des hauts pendant la décennie suivante, lorsque Etam, entrevoyant le formidable potentiel de l'informatisation, conçoit un système innovant de gestion des stocks, qui se révélera utile par la suite pour affronter des géants ultraorganisés comme H&M ou Zara. Des hauts aussi dans les années 1990, quand la mode se fait polychrome, incitant à acheter des modèles de toutes les couleurs. Et encore au début de ce siècle, avec la vague du "porno chic", ses strings et le latex.

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A l'international, le vrai démarrage date des années 1980. Il passe d'abord par la Belgique, où Etam décide d'exporter son concept, puis par l'Espagne, alors en pleine Movida. En Allemagne, le groupe crée l'enseigne 1.2.3, centrée sur les femmes matures. Un tournant stratégique s'opère en 1994 quand Pierre Milchior, qui avait ouvert un bureau d'achat à Hong Kong deux ans avant, décide de faire de la Chine un marché.

Pour échapper aux droits de douane (jusqu'à 80%) qui pénalisent là-bas les vêtements importés, il implante à Shanghai une entreprise de confection qui conçoit les modèles, achète les tissus dans le pays et fait fabriquer les vêtements par des sous-traitants locaux.

Fiasco outre-manche

Etam : les dessous d'un business florissant

Le tournant du siècle sera beaucoup plus périlleux. Etam, qui s'est introduit en Bourse en 1997, lance une OPA sur la société britannique Etam PLC et ses 220 magasins, avec laquelle il n'existait plus aucun lien capitalistique depuis la guerre. Pierre Milchior se rendra compte six mois plus tard de son erreur. Gestion trop centralisée, merchandising dépassé, logistique obsolète, personnel démotivé : la branche britannique est loin d'être à la hauteur des 22% de croissance que réalise alors l'enseigne sur le continent.

De plus, c'est le moment que choisit H&M pour déferler avec ses "mégastores". Etam a beau débaucher Richard Simonin chez Harrods, le "faiseur de luxe" ne peut empêcher les pertes de s'accumuler. En 2005, Etam Grande-Bretagne est finalement cédé à Philip Green (groupe Arcadia). "On a perdu presque 200 millions d'euros dans l'histoire et, surtout, le coût a été énorme en termes de management, admet Laurent Milchior. On a bien fait d'en sortir."

Dans l'aventure, l'enseigne aura quand même gagné Simonin, qui parvient à redresser l'activité d'Etam par la montée en gamme. Le directeur exécutif est notamment aux manettes lors de la création d'Undiz en 2007, cette enseigne prometteuse destinée aux 15-25 ans. Mais la crise de 2008-2009 stoppe net cet élan. L'ensemble du marché du textile recule, obligeant Etam à rester sur la défensive : fermeture de boutiques, repositionnement sur le haut de gamme pour 1.2.3, retrait du marché italien devenu trop concurrentiel.

Fin 2009, quand Simonin quitte le groupe (il est aujourd'hui PDG de Vivarte), le petit-fils du fondateur prend les rênes. Laurent Milchior, qui a alors 34 ans, a rejoint l'entreprise onze ans plus tôt et assure déjà la cogérance avec son père depuis douze mois.

Le jeune patron décide de repasser à l'offensive. Il recrute des stylistes, réduit les délais d'approvisionnement, investit dans des magasins plus grands et digitalisés. Surtout, il fait de l'international le socle du développement de la société, en tirant parti de la souplesse de ses structures. "Nous restons une firme familiale. Cela permet de voir loin et d'oser de nouveaux projets sans attendre un retour sur investissement immédiat", se félicite-t-il.

>> En vidéo : Les enseignes de distribution résilientes seront celles qui parviendront à replacer l'expérience client au centre de leur stratégie. Trois leviers d'action sont à leur disposition selon les experts de Precepta du groupe Xerfi.

Retrouvez toutes les vidéos de Xerfi sur XerfiCanal TV. Le groupe Xerfi est le leader des études économiques sectorielles. Retrouvez toutes ces études sur le portail de Xerfi Research, notamment l'étude sur la transformation digitale de la distribution.

Zara et H&M en ligne de mire

Ces deux dernières années, le visage du groupe en interne a ainsi changé en profondeur. Du comptable au directeur de marque, on ne recrute plus que des anglophones au profil international, à l'instar de la nouvelle équipe de développement hors France (six personnes) dirigée par l'Espagnol José Gomez, venu de Mango. En dix-huit mois, l'enseigne Etam a ouvert plus de 30 points de vente au Mexique et au Chili et s'est implantée au Pérou et en Colombie. En Asie, outre son premier magasin à Shanghai, elle en détient cinq en Corée du Sud. Undiz a pris pied en Allemagne, en Espagne, en Arabie saoudite et même en Polynésie, 1.2.3 s'est étoffé en Suisse, avant de s'exporter aux Emirats et en Amérique latine.

"Nous voulons devenir un acteur global, pas simplement une enseigne implantée à l'étranger, confie Laurent Milchior, qui a clairement Zara et H&M en ligne de mire. Les Espagnols et les Suédois, poursuit-il, ont compris très vite qu'ils devaient sortir de leurs marchés pour se développer. Cela requiert un nouveau modèle d'organisation et des investissements dans le marketing, de plus grands magasins, le digital, la différenciation des produits, le service clients... Il faut élever le niveau d'exigence."

Boîte franco-chinoise ?

La prochaine page de l'histoire de l'enseigne s'écrit donc hors de France, et plus spécialement en Chine. Ce pays, où elle est arrivée il y a vingt-deux ans, compte tellement dans sa vie (et pour un tiers de son chiffre d'affaires) qu'elle n'est pas loin de se considérer comme franco-chinoise. C'est d'ailleurs le sentiment des Chinoises, pour qui Etam est une marque asiatique... mais aussi l'enseigne vieillotte de leurs mères.

Le précurseur d'hier endosse maintenant l'habit du ringard de service et voit ses ventes chuter. Un grand nettoyage a donc été entrepris - fermeture de 58 points de vente non rentables, modernisation des collections, valorisation de l'origine française, notamment avec la marque Etam Paris, centrée sur la lingerie, dont les vendeurs, pardon, les beauty coachs, ont pour mission de vendre aux Chinoises le French way to be sexy. Cette mise en beauté remet à l'honneur le côté glamour de la centenaire, toujours en passe d'être rattrapée par des marques plus jeunes et donc forcée de faire peau neuve en permanence. Sans jamais renier son esprit d'indépendance et de "French liberty".

MAGNIFIER L'EXPERIENCE EN MAGASINLingerie, vêtements, cosmétiques...

L'expérience chinoise a fait école au sein du groupe. Un travail de pilotage "plus réactif et décentralisé" a été réalisé, qui va servir de modèle pour l'ensemble des filiales. Un programme de management interculturel, baptisé Talent, a même été élaboré avec HEC, qui forme des équipes franco-chinoises. "Notre organisation est beaucoup plus matricielle, détaille Laurent Milchior, le gérant. Nos cinq directeurs de région disposent d'une large autonomie et ils développent les trois marques. Tout l'encadrement est responsabilisé."

Côté produits, la "beauty thérapie" se traduit par une ample diversification, histoire de magnifier l'expérience en magasin. Etam propose désormais une gamme de collants multicolores, mais aussi une collection de vêtements de sport, nommée Be+.

Et des corners de produits cosmétiques sont apparus dès 2014 dans une cinquantaine de boutiques. Maquillage, crèmes, shampooings et accessoires : avec 600 références, Etam défie les Marionnaud, Sephora ou Kiko. "Un vrai nouveau business, commente la DG, Marie Schott. Près de 1 million de produits ont été vendus en 2015. Et les trois quarts des acheteuses sont de nouvelles clientes."

FRENCH CONFECTION EFFEUILLAGE D'UN ALBUM DE FAMILLE

1928

Max Lindemann installe une première boutique à Paris, rue Saint-Honoré.

1936Martin Milchior crée une usine à Mouvaux (Nord) pour fournir ses magasins de corseterie ouverts dès 1925 en Belgique sous l'enseigne Setamil.

1958Fusion des Etablissements Meyer et de la Setamil : Pierre Milchior, fils de Martin, s'associe à la famille Lindemann.

1963

Baptisée Etam, la nouvelle entité se lance dans le prêt-à-porter.

1983Lancement de 1.2.3, de prêt-à-porter qui cible les femmes de 40 à 60 ans.

1994Etam s'implante en Chine.

2001A Paris, Etam ouvre la Cité de la femme, le plus grand magasin de lingerie d'Europe. Et propose la vente en ligne sur son site Internet.

2014Lancement dans les boutiques Etam Lingerie d'une gamme de cosmétiques et d'une collection de vêtements de sport.

2014Lancement dans les boutiques Etam Lingerie d'une gamme de cosmétiques et d'une collection de vêtements de sport.