L'histoire des cigarettes Olympia, le coup fumant pour financer les Jeux olympiques de Tokyo de 1964

L'histoire des cigarettes Olympia, le coup fumant pour financer les Jeux olympiques de Tokyo de 1964

Des sacs en cuir. Des pin's. Des ballons. Des casquettes. Des timbres. Et même... des cigarettes. Quand il a fallu financer les Jeux olympiques de Tokyo de 1964, la première édition de l'événement sur le continent asiatique, avant ceux qui se déroulent du 23 juillet au 8 août dans la capitale japonaise, les organisateurs n'ont pas lésiné sur les produits dérivés et autres licences pour faire rentrer de l'argent dans les caisses. Quitte à commercialiser massivement un produit qui entre en contradiction frontale avec les valeurs de l'olympisme. Souvenez-vous : "l'esprit sain dans un corps sain", poumons y compris. Les cigarettes Olympia rapporteront au total plus d'un million de dollars, une somme rondelette pour l'époque, qui en fait l'un des produits les plus rentables du cru 1964. Retour sur une success-story.

Cherche sources de financement désespérément

"Quand le Japon a obtenu les Jeux, en 1958, c'était la première fois que le pays avait l'occasion de se montrer sous un nouveau jour depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale", contextualise Markus Osterwalder, spécialiste de l'histoire des Jeux et accessoirement détenteur d'une des plus imposantes collections liées à la lubie de Pierre de Coubertin (60 000 objets, répartis dans trois bâtiments, excusez du peu – article en allemand). Les esprits chagrins pinailleront et rappelleront, comme le journaliste d'investigation Andrew Jennings (dans son livre The New Lords of the Rings, 1996) que les meilleures call-girls de la ville n'ont pas été pour rien dans l'appréciation très favorable des délégués du CIO. N'empêche. Pour la capitale japonaise, le défi est immense. Moins de vingt ans après avoir été pratiquement rayée de la carte, Tokyo investit massivement dans les infrastructures liées aux Jeux. Un aéroport, quatre autoroutes aériennes, 70 km de routes, 8 km de monorail, sans parler des stades, pour un budget estimé à 72 millions de dollars, un total pharaonique pour l'époque (environ 600 millions de dollars d'aujourd'hui).

Si un budget équilibré n'est pas envisageable, le comité d'organisation local déploie des trésors d'énergie pour apposer les anneaux olympiques sur tous les produits. A commencer par la marque de cigarettes Peace, qui décline dès 1960 le logo sur une collection d'une trentaine d'emballages, représentant chacun l'un des sports en compétition lors de la quinzaine olympique. Mieux, le comité olympique fait feu de tout bois et lance carrément sa propre marque, Olympia, en 1963. "Rien de plus facile : à l'époque, le tabac est un monopole gouvernemental", souligne Zen Aoki, directeur du Musée du tabac et du sel de la capitale japonaise.

L'histoire des cigarettes Olympia, le coup fumant pour financer les Jeux olympiques de Tokyo de 1964

Pour chaque paquet acheté, 10 yens finissent directement dans les caisses de l'organisation. La première version, sans filtre, ne décolle pas, mais le succès est au rendez-vous après l'ajout du petit morceau d'acétate de cellulose... et le taux de fumeurs, chez les hommes (au-dessus de 80%) comme chez les femmes (de l'ordre de 20%), bondit en cette année pré-olympique. Comme le remarque l'Organisation mondiale de la santé, le taux de mortalité par cancer du poumon fera de même trente ans plus tard. "C'était clairement un produit de luxe, avec pour la première fois au Japon des feuilles de tabac venues de Grèce et de Turquie, poursuit Zen Aoki. Ce n'était pas possible de les cultiver au Japon. Pour vous donner une idée, un paquet coûtait 60 yens, quand la marque la plus haut de gamme de l'époque, Fuji, ne dépassait pas les 50."

Le CIO met le holà

L'initiative tokyoïte fera des émules... quatre ans plus tard, lors des Jeux de Grenoble (1968), où le comité local sous-licenciera les anneaux olympiques à un marchand de nicotine. Sauf que cette fois, le patron du CIO, Avery Brundage, se fendra d'une lettre ouverte à ses subordonnés pour estimer que la plaisanterie a assez duré. La plaisanterie des produits dérivés à tout va, mais pas autour d'un éventuel hiatus avec les valeurs de l'olympisme. "Ce n'était pas un problème de santé publique à l'époque", rappelle Michael Payne, l'homme qui a nettoyé les écuries d'Augias du CIO en matière de merchandising dans les années 1980.

"Il n'y avait même pas de cadre défini par le CIO, jusqu'à ce qu'on interdise par écrit, dans la charte olympique, d'associer les anneaux olympiques avec du tabac ou des spiritueux", poursuit Michael Payne. Il y aura bien une dernière tentative, lors des Jeux de Séoul de 1988, de commercialiser du tabac estampillé olympique, mais, vite dénoncée, elle fera long feu. Ce qui n'empêche pas des manœuvres détournées : l'équivalent chinois de la Seita a cherché à s'associer avec un médaillé des Jeux d'Athènes (2004) pour faire de la retape. Ces lignes rouges évoluent constamment : lors des Jeux d'Atlanta (1996), le CIO a ainsi mis son veto à ce qu'on appose les anneaux olympiques sur des paquets de serviettes hygiéniques.

Les cigarettes olympiques, frappées d'interdiction après deux olympiades seulement (curieusement, personne n'avait eu l'idée de commercialiser du tabac estampillé des cinq anneaux dans les années 1950), sont forcément devenues un objet de collection. "Je pense que j'en ai un paquet chez moi, mais où ?, sourit Markus Osterwalder, dont l'imposante collection est répartie dans trois lieux différents. Ce n'est pas si difficile que ça à trouver. J'en ai vu passer récemment sur eBay. Un paquet de cigarettes Olympia avec les clopes, défraîchies, forcément, encore à l'intérieur, ça va chercher dans les 15 euros. Et une collection complète des 37 emballages différents des cigarettes Peace, ça se trouve pour une centaine d'euros. Ce sont des prix corrects, et sur le marché de la collectionnite, ça reste très abordable."

Notez que l'arrêt de la commercialisation des cigarettes olympiques n'a pas entraîné la fin des briquets et autres cendriers olympiques. Demandez à Markus Osterwalder : "Des cendriers ? J'ai ceux de Melbourne (1956), Mexico (1968), Innsbrück (1964), Munich (1972), Montréal (1976)..." Merchandising oblige.