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Ils sont heureux, naviguent en confiance, croient au progrès, aiment lire, aller au concert ou au théâtre. Ils voteront bien sûr à la présidentielle de 2022. Même le Covid-19, ils en parlent presque comme d’une bénédiction. S’il n’y avait cette fichue planète qui se réchauffe, ils dessineraient un avenir prometteur. Nulle provocation chez les neuf personnes que nous avons écoutées, durant des heures, chacune dans son appartement. « On a tous nos problèmes mais vu où on habite, se plaindre serait indécent. »
100 « Fragments de France »
A six mois de l’élection présidentielle, Le Monde brosse un portrait inédit du pays. 100 journalistes et 100 photographes ont sillonné le terrain en septembre pour dépeindre la France d’aujourd’hui. Un tableau nuancé, tendre parfois, dur souvent, loin des préjugés toujours. Ces 100 reportages sont à retrouver dans un grand format numérique.
Ils habitent à Nice, une ville sous le soleil, dans le quartier de Cimiez, colline résidentielle qui sent le gazon frais, le jasmin et le mimosa, à dix minutes à peine du centre. Mais leur bonheur s’inscrit ailleurs. Ils logent au Régina, dans un monde à part. C’est un des plus beaux immeubles de France, un des plus agréables à vivre, avec une vue exceptionnelle sur son parc, la piscine et le tennis, les toits rouges de Nice un peu plus bas, la mer au loin.
Le pedigree du lieu dit son standing. A la fin du XIXe siècle, l’Excelsior Régina est un palace de 400 chambres, de style Belle Epoque, construit pour accueillir la reine Victoria (1819-1901). Elle y fera trois longs séjours, occupant l’aile ouest du bâtiment avec sa suite, le personnel, son valet en kilt et ses meubles. L’hôtel est immense (150 mètres de façade) mais d’une élégance décorative : marbre blanc, bow-windows, balcons, terrasses, fers forgés, marquises, coupoles. Pas moins de 660 mètres carrés pour le hall d’entrée avec parquet à damier, douze colonnes dignes du Parthénon, un escalier monumental qu’Aragon décrit comme un colosse aux épaules larges. Cinq étages, des paliers de 50 mètres carrés. Le parc, où Victoria promenait son âne Jacquot en calèche, s’étire sur 8 000 mètres carrés, avec pelouses, palmiers et flore tropicale.
Au milieu des années 1930, les 400 chambres sont transformées en une copropriété de 98 vastes appartements, tous différents. Son occupant le plus illustre est Henri Matisse, tombé amoureux de la lumière, qui s’installe au troisième étage en 1941, jusqu’à sa mort, en 1954. Une de ses toiles les plus célèbres a pour titre Luxe, calme et volupté. C’est une bonne définition du Régina, dont la notoriété est telle qu’il suffit de donner ce nom au chauffeur de taxi. Les cars de touristes s’arrêtent devant l’entrée. Des films y sont tournés, dont Rebecca (2020), remake du chef-d’œuvre d’Hitchcock.
Quelque 300 personnes vivent aujourd’hui au Régina. Non sans fierté. Mais sans le dire trop. Une avocate de 50 ans nous demande de ne pas mentionner son nom : « Habiter ici, c’est être catalogué comme nanti. Ça crée des jalousies. » Quand on lui demande s’il y a d’autres inconvénients, elle répond avec humour que les livreurs de pizzas s’y perdent. Les charges ? Raisonnables, d’autant qu’une partie est déductible des impôts en raison de l’inscription du site aux Monuments historiques.
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