Le luxe contraint d'étoffer son offre aux classes moyennes

Le luxe contraint d'étoffer son offre aux classes moyennes

par Pascale Denis

Face au ralentissement du marché mondial du luxe, les grands noms du secteur infléchissent leur stratégie pour répondre aux aspirations des classes moyennes émergentes, notamment chinoises, et aux besoins d'une clientèle européenne rebutée par des prix jugés prohibitifs.

Entre 2014 et le début 2016, Louis Vuitton, Gucci ou Prada ont considérablement étoffé leurs gammes de sacs vendus entre 2.000 et 3.500 euros, soucieux de préserver leur image de luxe et d'exclusivité et laissant le créneau du luxe dit "accessible" aux américains Michael Kors, Kate Spade ou Coach.

Mais aujourd'hui, la tendance s'est inversée, constate Mario Ortelli, analyste de Bernstein. "Il y a une nette accélération de la diversification de l'offre de maroquinerie à des prix plus accessibles."

Le gisement que représente la clientèle chinoise, qui compte pour plus de la moitié du marché mondial du luxe, s'est déplacé vers la classe moyenne - dotée d'un moindre pouvoir d'achat - à laquelle les marques doivent s'adapter.

Développer une offre accessible est "absolument nécessaire", aux dires de Qiong er Jiang, PDG de Shang Xia, la marque chinoise d'Hermès.

"Il y a en Chine 1,5 million de clients dont les revenus dépassent 500.000 dollars et tout le monde se bat pour les avoir. Mais au-dessous, il y a la nouvelle classe moyenne qui représente 246 millions de personnes", a-t-elle souligné lors de la conférence "Luxury Forward" organisée en décembre à Paris.

ANTICIPATIONS

"En Chine, la croissance est de plus en plus tirée par les consommateurs issus de la classe moyenne. Les dépenses des ménages très aisés, déjà largement équipés, ont déjà commencé à ralentir, comme dans les pays occidentaux", observe Luca Solca, analyste d'Exane BNP Paribas.

Louis Vuitton, qui a surpris le marché avec un rebond de ses ventes au troisième trimestre, a profité d'une amélioration de l'environnement économique en Chine. Mais la griffe, principal centre de profit de LVMH, a aussi bénéficié d'un positionnement stratégique payant.

Le malletier a, selon les observateurs, mieux anticipé que ses pairs le besoin de passer d'un modèle d'expansion de son réseau de magasins à une stratégie guidée par l'offre, et a bien piloté l'élargissement de sa gamme.

"Parmi tous les acteurs du secteur, Louis Vuitton offre la meilleure réponse aux besoins des classes moyennes montantes, notamment des jeunes, grâce à une offre plus étoffée de sacs et de petite maroquinerie d'entrée de gamme", relèvent les analystes de HSBC.

Le luxe contraint d'étoffer son offre aux classes moyennes

Le consommateur moyen d'une marque comme Vuitton, loin de compter parmi les riches clients du luxe, dispose de revenus annuels d'environ 35.000 dollars.

En rachetant le spécialiste allemand du bagage Rimowa, le groupe LVMH, tout en misant sur l'essor du tourisme mondial, s'inscrit aussi dans cette stratégie d'extension de son offre accessible. Le lancement des parfums Louis Vuitton répond également à ces attentes.

HAUSSES DE PRIX MASSIVES

Cette évolution doit permettre aussi de reconquérir les clientèles locales, notamment européennes, qui ont parfois fui le marché pour cause de hausses de prix massives.

"La valeur qualité-prix décroît auprès des clientèles locales, en Europe notamment", souligne Olivier Abtan, associé du Boston Consulting Group, évoquant des enquêtes réalisées par le cabinet de conseil auprès de clients.

Entre 2000 et 2011, le prix en euros d'un mocassin Tod's a plus que doublé, celui d'un "trench" Burberry a été multiplié par cinq tandis que celui d'une montre Rolex a été multiplié par sept, selon les relevés d'un expert du luxe qui a souhaité garder l'anonymat.

Hermès a ainsi laissé entendre qu'il n'excluait pas de se lancer dans les cosmétiques, tandis que le PDG de Cartier, marque phare de Richemont, reconnaissait cet été dans une interview à la presse suisse que la hausse du prix des montres avait été excessive ces dernières années.

Comme ses concurrents, Cartier a élargi son offre de montres dans l'entrée de gamme. Pour la première fois, il a lancé en 2016 un nouveau modèle en acier, alors que les nouveautés étaient jusqu'ici toujours présentées dans des métaux précieux, la version en acier étant déclinée plus tardivement.

Les marques doivent aussi attirer les jeunes générations, ces "millennials" de 18-35 ans qui consomment autrement et préfèrent de plus en plus dépenser en voyages ou restaurants plutôt qu'en produits de luxe.

"Elles peuvent le faire en repensant leur offre avec des produits moins chers ou de nouvelles catégories, comme des objets-cadeaux, des objets pour la maison ou des parfums-cosmétiques", note Olivier Abtan.

Après des progressions annuelles d'environ 6% jusqu'en 2014, tirées par la conquête de la Chine, des ouvertures massives de magasins et d'importantes hausses de prix, le luxe est entré dans une ère de faible croissance qui devrait, selon le cabinet Bain, avoisiner 2% dans les années à venir.

(Edité par Dominique Rodriguez)