Comment le popcorn est-il devenu l'incontournable des salles de cinéma ?

Comment le popcorn est-il devenu l'incontournable des salles de cinéma ?

Figurez-vous que ce mercredi 19 janvier, c'est la journée internationale du popcorn ! Oui, il y a décidément des journées internationales pour presque tout et n'importe quoi. Si on ignore le comment du pourquoi de cette journée, elle est en revanche un bon prétexte pour poser une vraie et bonne question : depuis quand le popcorn est-il devenu incontournable dans les salles obscures ?

Car avouons-le : on a tous eu au moins une fois ce plaisir coupable. S'offrir un cornet voire carrément un seau de popcorn salés / sucrés, dégustés par poignées durant les films publicitaires et / ou pendant la projection du film. Parfois, il faut le dire aussi, au grand désespoir de notre voisin(e) de devant / derrière / sur le(s) côté(s) (rayez la / les mentions inutiles).

De manière assez ironique d'ailleurs, cela reste pour le moment un souvenir encore lointain, étant donné l'interdiction actuelle par le gouvernement de la consommation de boissons et d'aliments dans les cinémas et les théâtres, depuis le 3 janvier dernier...

Les joies du charriot ambulant

L'origine de sa présence dans les salles de cinéma est à chercher du côté des Etats-Unis. Dès 1848 en fait, année de l'entrée du mot "popcorn" dans le Dictionnaire des américanismes de l'historien J.R. Bartlett. En 1893, un certain Charles Cretors, propriétaire d'une confiserie à Decatur, dans l'Illinois, met au point un étonnant charriot ambulant placé devant sa boutique, capable de cuire à la vapeur des grains de maïs transformés en popcorn, pour la plus grande joie des enfants qui n'en perdent pas une miette en admirant la transformation du maïs dans le caisson vitré.

Cette même année, sa machine est présentée dans le cadre de l'Exposition Universelle de Chicago. Un homme d'affaire achète la licence pour tout le pays, rapidement inondé par cette fantastique machine aisément déplaçable. C'est ainsi qu'elle trouve tout naturellement sa place aux abords des cirques, événements sportifs et autres fêtes foraines.

Lorsque les premiers cinémas apparaissent, les marchands ambulants se mettent devant. Avant de s'acheter un ticket aux Nickelodeon (petits cinémas de quartier) à 5 Cents, le public peut aussi s'offrir pour à peu près le même montant un cornet de popcorn chauds, dont l'odeur flatte les narines. Pas question néanmoins que ces friandises pénètrent l'antre des très luxueux cinémas construits au tout début des années 1920.

A cette époque, ces salles tentent d'attirer le même public que celui des théâtres, et rivalisent de luxe à grands coups de dorures, lustres et autres rideaux de scènes en velour rouge. Manger du popcorn dans ces salles ? Impensable, trop populaire, et en plus, ce n'est pas bon pour la moquette, épaisse, et chère, où l'on risque de retrouver le popcorn écrasé.

"Les premières salles de cinéma avaient carrément des panneaux à l'extérieurs de leurs vestiaires, exigeant que l'employé chargé de ce même vestiaire vérifie systématiquement la présence ou non de popcorn dans les poches des manteaux" explique l'historien Andrew F. Smith, auteur d'un livre consacré au sujet, Popped Culture : a Social History of Popcorn in America. La crainte de passer du popcorn en contrebande sans doute.

L'arrivée du cinéma parlant, en 1927, change la donne : le public s'élargit considérablement. Si auparavant il fallait avoir un peu d'instruction pour savoir lire les panneaux au temps du cinéma muet, le cinéma parlant change tout. On estime à ce titre qu'en 1930, près de 90 millions d'américains se rendent dans les salles obscures chaque semaine.

Le popcorn, meilleur ami du spectateur américain pendant la Grande Dépression

La Grande Dépression qui frappe le pays à partir d'octobre 1929 et pour les quelques années suivantes, jette à la rue et sur les routes des millions d'américains qui se retrouvent sans travail, pointant à la soupe populaire. Si l'usine hollywoodienne tourne à plein régime pour tenter de réenchanter un peu l'ordinaire des spectateurs américains, nombreuses sont malgré tout les salles de spectacles qui souffrent de la crise au point de fermer leurs portes.

Ce contexte va en fait présenter une excellente opportunité pour le popcorn et le cinéma. Recherchant un divertissement pas cher, le public se tourne donc vers le cinéma. Et à 5 ou 10 Cents le sac de popcorn, cela représentait un luxe accessible que la plupart des gens pouvaient s'offrir.

Si dans un premier temps les propriétaires de salles obscures ne voyaient pas l'intérêt de proposer du popcorn au sein de leurs établissement, les vendeurs de rues, eux, avaient parfaitement compris comment procéder : ils achetaient leurs propres machines fabriquant le popcorn et se positionnaient juste devant les portes d'entrées des salles. Succès garanti.

Quant aux exploitants de salles, la perspective de substentiels profits et un peu de bon sens ont fini par les convaincre de faire rentrer le popcorn pour de bon dans leurs cinémas. Sous couvert de ce qui fut appelé Lobby privileges, les propriétaires de salles ont autorisé les vendeurs de popcorn à venir s'installer dans les Halls d'entrées de leurs cinémas, moyennant le reversement d'une petite taxe quotidienne. Après quoi les exploitants ont rapidement appris à se passer du vendeur pour augmenter mécaniquement leurs profits.

Comment le popcorn est-il devenu l'incontournable des salles de cinéma ?

C'est ainsi qu'ils installent des stands pour vendre eux-même le popcorn. "Ceux qui ont commencé à vendre du popcorn ont survécu" précise Andrew F. Smith. Et d'ajouter : "prenez l'exemple de cette chaîne de salles de Dallas, qui installa des machines à popcorn dans 80 de ses salles, sauf cinq, qu'elle jugeait les plus prestigieuses. En l'espace de deux ans, les 80 salles vendant du popcorn ont vues leurs bénéfices exploser, tandis que les cinq salles n'en vendant pas devenir déficitaires".

En élargissant le propos, la conclusion s'impose d'elle-même : le popcorn a littéralement sauvé les salles de cinéma. Pour les propriétaires de salles, l'affaire est désormais entendue : pour dégager de gros profits, ils décident d'installer massivement des stands vendant du popcorn.

La Seconde guerre mondiale ou la suprématie du popcorn dans les salles obscures

La Seconde guerre mondiale consolide cette suprématie : si le sucre est rationné car réservé en priorité aux soldats, cela n'empêche pas la consommation de popcorn de tripler. En 1945, la moitié de la consommation du popcorn aux Etats-Unis se fait au cinéma !

C'est ainsi que les exploitants s'activent toujours plus pour promouvoir leurs friandises -popcorn en tête donc- vendues au sein de l'établissement. D'abord à grands coups de panneaux publicitaires, puis d'annonces publicitaires diffusées avant les films, et, quelques fois... Pendant !

A ce titre, le petit film publicitaire animé baptisé Let's All go to the Lobby, d'une durée de 40 secondes et diffusé dans les salles américaines en 1957, incitant le public à se rendre dans le Hall du cinéma pour y acheter des friandises, est célèbre. Son importance historique a d'ailleurs été reconnue par la Bibliothèque du Congrès américain, qui l'a intégré dans son prestigieux catalogue en 2000.

Le voici, ci-dessous...

Dès le milieu des années cinquante et surtout dans les années 1960, les salles de cinéma subissent de plein fouet la concurrence de la télévision. Toutefois, la préparation et la consommation de popcorn dans les foyers américains ne sont pas très répandues; principalement en raison de la nécessité de certains ingrédients et ustensiles de cuisine Ad Hoc. Un produit changera ça, commercialisé sous le nom de EZ Pop. Il suffit juste à la ménagère de placer le récipient au-dessus d'une source de chaleur.

Voici une publicité de la marque, diffusée dans les foyers américains aux alentours de 1955 :

Et maintenant ?

Cette relation entre le popcorn et les films a en fait profondément transformé l'industrie elle-même. Avant la Grande Dépression, le popcorn vendu était essentiellement de couleur blanche; on trouvait alors peu de popcorn jaune, d'autant que son coût de fabrication était deux fois plus cher.

Rapidement, les exploitants de salles ont marqué leur préférence, qui allait au popcorn jaune, parce que sa couleur rappellait naturellement le beurre. Les clients et spectateurs quant à eux ont emboité le pas, préférant acheter ce popcorn jaune qui ressemble à celui qu'on mange dans les salles de cinéma. Les chiffres sont éloquents : à peine 10% des popcorn vendus dans les cinémas aux Etats-Unis sont de couleur blanche. Aux Etats-Unis toujours, la vente de boisson et nourriture représente entre 40 et 46% des revenus des salles, ce qui est absolument colossal.

Dans un rapport se penchant notamment sur les ressources des cinémas paru en 2016, l'avocat au Barreau de Paris Pierre Kopp, compare les chiffres d'affaires des principaux groupes du réseau de distribution de films, UGC, CGR et Gaumont Pathé.

Et de pointer que la vente de confiseries pèse en moyenne 14,97% du chiffre d'affaires. C'est davantage que la publicité, qui représente quant à elle 9,42%, avec des disparités importantes en fonction des réseaux de salles.

Si par exemple chez Gaumont - Pathé les ventes de confiseries représentent 10,63% du chiffre d'affaires, elles représentent près du double chez CGR, avec 20,51%. Au global, ces marges réalisées sur les ventes de confiseries s'élèvent à 30%. Qu'elle semble loin l'époque où, en 1996, la vente de confiseries ne représentait que 4,7% du chiffre d'affaires des salles de cinéma en France... Au-delà de l'interdiction gouvernementale de circonstance, apprêtez-vous donc à entendre encore pendant un bon moment votre voisin mâchonner ses popcorns et autres douceurs sucrées / salées...