Fourrure, crocodile, ivoire ces produits de luxe devenus tabous

Fourrure, crocodile, ivoire ces produits de luxe devenus tabous

Cet article est issu du magazine Capital

Réalisé à partir de matières précieuses par des artisans ultraqualifiés, le luxe est, par essence, le fruit de l’exception. Réservé à une élite et inaccessible au commun des mortels pendant des siècles, il a fini par se démocratiser, mais il est aujourd’hui attaqué par une vague bien plus profonde qu’une lutte idéologique classique, basée sur le capital et l’argent : l’écologie. Car le luxe est fait avant tout de nourriture terrestre et a toujours puisé dans les ressources naturelles, devenant une cible idéale pour les associations écologistes.

Des pans entiers de cette industrie sont menacés, mais c’est l’ensemble du secteur qui va devoir se réinventer pour survivre, car selon «Forbes», en 2025, 50% des clients du luxe seront des millennials, une population très sensible à la protection de l’environnement et à la souffrance animale. Anticipant l’interdiction possible de certains cuirs, des bottiers de luxe seraient déjà en train de se constituer un stock pour les prochaines décennies. De quoi tenir le coup si les végans remportent la bataille des chaussures…

Fourrures

Sous les coups de boutoir de l’association américaine de protection animale Peta (People for the ethical treatment of animals), l’industrie de la fourrure est en train de disparaître. Elle génère toujours en France plus de 300 millions de chiffre d’affaires par an, mais ses jours semblent comptés. Si l’utilisation des animaux sauvages est déjà proscrite, les fabricants peuvent encore acheter des peaux provenant d’élevages. Dans d’autres pays, la mise à mort de cette industrie est déjà actée. En 2018, le conseil municipal de Los Angeles a adopté un décret qui interdit, depuis janvier 2020, la fabrication, l’importation mais aussi la vente de vêtements avec de la fourrure animale, et qui sera généralisé à toute la Californie d'ici 2023.

Anticipant ces interdictions, Chanel, Burberry, Versace ou Gucci ont fait disparaître les poils naturels de leurs créations. En France, il reste encore quatre élevages de visons, mais Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique, a proposé en septembre dernier leur fermeture, dans un délai de cinq ans. Mais ce ne sont peut-être pas les défenseurs des animaux qui vont tuer définitivement l’industrie de cette fourrure, mais le Covid-19. Selon plusieurs études, le virus, en ayant contaminé plusieurs élevages de ces petits mammifères, pourrait muter. Le Danemark, premier producteur mondial, a pris la décision d'abattre 17 millions de visons pour des raisons sanitaires, et tous les autres élevages mondiaux sont menacés.

>> A lire aussi - Visons : le gouvernement veut maintenir les élevages encore quatre ans

Crocodile et serpent

En maroquinerie de luxe, l’utilisation de peaux de serpent, d’autruche ou de crocodile est de plus en plus délicate. Dans les années 1970, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), dite Convention de Washington, avait déjà limité la chasse de plusieurs espèces (python, crocodile…) et les fabricants se sont tournés vers des fermes d’élevage, qui sont aujourd’hui la cible des associations de défense des animaux, en raison de mauvaises conditions d’élevage et d’abattage. Devant le tollé provoqué par la diffusion de certaines images, en 2018, Chanel a annoncé qu’elle n’utiliserait plus de peaux d'animaux exotiques pour ses créations. En 2020, Prada lui a emboîté le pas, ajoutant qu’elle n’utiliserait plus de peaux de kangourou, dont 2,3 millions d’individus sont abattus chaque année pour la maroquinerie et dont les populations ont été ravagées par les incendies qui ont eu lieu en Australie l’hiver dernier. Il y a quelques années, Jane Birkin a même demandé à Hermès de débaptiser un de ses sacs mythiques, le Birkin, après avoir découvert, horrifiée, les conditions d’abattage des crocodiles. Le maroquinier a immédiatement réagi en promettant de surveiller plus attentivement ses fournisseurs.

>> A lire aussi - Basket vegan, tissus recyclés... les marques de luxe se mettent au développement durable

Fourrure, crocodile, ivoire ces produits de luxe devenus tabous

Astrakan

L’astrakan est fabriqué à partir du pelage d’un mouton (le karakul), élevé en Russie et dans les plaines de l’Ouzbékistan pour la viande et surtout pour sa laine précieuse. Seules les peaux d'agneaux sont destinées au secteur du luxe et les conditions d’abattage sont contestées par des écologistes, qui demandent l’interdiction pure et simple de sa commercialisation. En effet, l’animal est souvent gazé dès sa naissance pour que les fines bouclettes de sa fourrure, qui disparaissent dans sa première semaine de vie, soient préservées. Et il faut 30 agneaux pour faire un seul manteau, vendu plus de 5000 euros ! L’astrakan moiré, encore plus cher et qui peut coûter jusqu’à 15.000 euros, est fabriqué à partir d’agneaux mort-nés. En général, ce sont les derniers bébés d’une brebis karakul qui est tuée vers 6 ans, avant la fin de sa dernière gestation. Une cruauté intolérable pour les défenseurs de la cause animale.

Bois précieux

Le palissandre de Rio et celui du Siam, des bois précieux utilisés pour la marqueterie et la fabrication de guitares haut de gamme, sont interdits d’importation dans l’Union européenne depuis 1992. Les rares planches coupées avant cette date qui sont encore sur le marché se vendent à des prix astronomiques (10.000 euros pour une guitare). Utilisé en Chine pour la marqueterie de luxe, le bois de rose est en voie de disparition. Pour mettre fin à la déforestation, Madagascar en a interdit l’exploitation et l’exportation en 2019. Depuis déjà plusieurs années, par des décrets, on avait tenté, en vain, d'empêcher la déforestation sauvage, mais les trafiquants, qui risquent pourtant dix ans de travaux forcés, continuent de piller les ressources de l'île. Lourdement armés, ils n’hésitent pas à faire feu sur les gardes forestiers. Il faut dire que ce commerce clandestin est juteux: la tonne de bois de rose peut atteindre près de 20.000 euros !

Ivoire

Selon la Convention de Washington, le commerce de l’ivoire est totalement interdit pour tous les objets fabriqués après le 1er juillet 1975. Pour ceux fabriqués entre 1947 et 1975 et dont le poids dépasse les 200 grammes, il faut obtenir une autorisation spéciale pour la revente. Sauf pour les instruments de musique comme les pianos, qui peuvent être revendus librement. Le braconnage continue de faire des ravages et plus de 30.000 éléphants sont abattus chaque année pour alimenter le trafic d’ivoire. Avec l’effort international et la baisse de la demande en Chine, qui a interdit son commerce en 2017, les prix chutent, passant de 2.000 euros le kilo en 2015, à moins de 1.000 euros en 2020. Mais le WWF plaide pour une interdiction totale du commerce de «l’or blanc» afin d'éviter la mise sur le marché de fausses antiquités réalisées avec de l’ivoire fraîchement prélevé sur les cadavres de pachydermes.

Corail noir

Poussant à partir de 40 mètres de profondeur, le corail noir est utilisé en bijouterie. Parure et talisman depuis l’Antiquité, il est aujourd’hui en voie de disparition. Tel qu'inscrit à l’annexe 2 de la CITES, son exploitation, son exportation et sa vente sont interdites dans la plupart des pays. Pourtant le trafic continue et le kilo de corail noir brut peut s’échanger à plus de 10.000 euros. Le WWF et de nombreuses associations militent aussi pour l’interdiction totale de l’exploitation du corail rouge, plus courant mais lui aussi en danger puisque selon l’ONG, les deux tiers des récifs coralliens sont menacés de disparition. C'est malheureusement logique quand on sait que le prix au kilo peut atteindre 3.000 euros!

Thon rouge

Menacé d'extinction au début des années 2000, le thon rouge est de retour dans la plupart des mers du globe. Les quotas de pêche ont été drastiquement diminués, mais le braconnage continue de mettre en danger le fragile équilibre retrouvé par les populations de ce poisson très prisé en Asie. Au Japon, le thon rouge peut atteindre 10.000 euros le kilo pour les plus beaux spécimens vendus au marché de Toyosu, à Tokyo. Du coup, de nombreux pêcheurs japonais ne respectent pas les règles et continuent de piller toutes les mers du monde. Des associations de protection de l’environnement plaident pour la suppression pure et simple de la pêche de l’espèce, et la Commission européenne réfléchit à une interdiction de vente sur tout le continent pour permettre au stock de se renouveler.

Ortolan

Moins de 30 grammes, un bec rose, un plumage allant du vert au brun doré, ce petit oiseau chanteur fait fantasmer les gastronomes depuis l’Antiquité romaine. Symbole du pouvoir et de la richesse, l’ortolan se dégustait rôti au feu de bois, en une seule bouchée et en se cachant sous un linge épais pour préserver toutes ses saveurs. La chasse est interdite depuis 1999, mais le braconnage continue, car ces petits passereaux se revendent sous le manteau jusqu’à 150 euros pièce! On les capture avec de petits pièges appelés «matoles», on les engraisse aux grains pendant quelques semaines, puis, selon la tradition, on les tue en les noyant dans de l’armagnac. Le président François Mitterrand, grand amateur, en a dégusté lors de son dernier réveillon à l’Elysée, en 1994. C’est Henri Emmanuelli, député des Landes et défenseur des chasses traditionnelles, qui aurait fourni les ortolans au chef de l’Etat…

>> A lire aussi - La viande est-elle mauvaise pour la santé ?

Nids d’hirondelle

Utilisés en gastronomie et pour la pharmacopée, vendus 1.200 euros le kilo en Chine, les nids d’hirondelles sauvages (en réalité une espèce de martinet) sont en voie de disparition et des ONG demandent l’arrêt du ramassage. Les nids les plus prisés sont ceux situés en Indonésie où des paysans montent sur d’immenses échasses en bambou pour les cueillir dans des grottes. En Birmanie, de nombreuses fermes ont été construites, mais les conditions d’élevage sont particulièrement sordides. Et plusieurs associations ont demandé leur fermeture. A noter que ces nids sont faits de mucus séché. Pas très appétissant tout de même…

Foie gras

En 2004, la Californie a décidé de ne plus autoriser la vente de foie gras, au nom du bien-être animal. Suspendue pendant plusieurs années, cette loi a été confirmée par un arrêt de la Cour suprême en janvier 2019 et fait trembler toute la filière. D’autant plus qu'à partir du 1er janvier 2022 le foie gras sera aussi proscrit dans la ville de New York et que l’Angleterre réfléchit aussi à empêcher les importations. Aujourd’hui, le gavage des oies est interdit dans la plupart des pays européens et ne reste autorisé qu’en France, en Espagne, en Belgique, en Hongrie et en Bulgarie. 18.000 tonnes de foie gras sont toujours produites en France, pour un chiffre d’affaires global dépassant les 2 milliards d’euros. Un marché qui a baissé de 10% l’an dernier…

Jets privés

Les jets sont menacés dans leur existence même, à cause d’un impact carbone par passager 40 fois plus important que celui d'une ligne classique. Les jets privés devraient à eux seuls être responsables de 4% des émissions carbone en 2050, contre 0,9% aujourd’hui. Common Wealth, un think tank anglais, propose leur interdiction pure et simple d’ici 2025. Mais la crise sanitaire a redonné un nouveau souffle au marché: avec le Covid-19, les réservations de vol auraient bondi de plus de 30%. Une affaire lucrative quand on sait qu’un vol aller-retour Paris-New York, pour un jet de 12 places, coûte aux alentours de 120.000 euros.

SUV

Dans notre pays, les ventes de SUV ont été multipliées par sept en dix ans et représentent aujourd’hui plus de 40% du marché des voitures neuves. La Convention citoyenne pour le climat a proposé de taxer toutes les voitures à 10 euros par kilo à partir de 1,4 tonne. Des députés écologistes français sont même allés plus loin en proposant un malus écologique de 15 euros pour chaque kilo au-delà de 1,3 tonne. Pour l’instant, le gouvernement a rejeté cette idée, mais elle fait son chemin dans plusieurs villes nouvellement gagnées par les écologistes. En Norvège, cette mesure a déjà été adoptée. Si vous achetez un Audi Q7, vous devez payer 20.000 euros de taxe!

Bungalows sur pilotis

Une habitation en bois posée sur les eaux cristallines d’un lagon, voilà l’image du luxe absolu. Et pourtant, ces constructions sont la cible des protecteurs de l’environnement, car ils demandent l'installation d’énormes poteaux qui détruisent les récifs. Pour tenter de maintenir un statu quo, des «resorts», ces grands hôtels situés dans des atolls, mettent en avant leurs actions écologiques. Sur sa plaquette de présentation, le Manava Beach Resort & Spa, situé en Polynésie française, un des premiers hôtels du monde à avoir mis en place des bungalows sur pilotis, vante son travail d’implantation de «nursery de corail» sous ses constructions. Les nouveaux hôtels de luxe écoresponsables ont déjà abandonné les pilotis pour des cabanes posées sur la terre ferme. Quand le luxe veut survivre, il sait toujours trouver une idée dans l’air du temps…

>> Spécial innovations : dans la santé, l’environnement, l’alimentation... C’est la Une du nouveau numéro de Capital. Accédez en quelques secondes à ce dossier à partir de 2,25 euros.