Chine : Xi Jinping veut transformer l'île de Hainan en un nouveau Hongkong

Chine : Xi Jinping veut transformer l'île de Hainan en un nouveau Hongkong

Avec son alignement d'hôtels de luxe, la baie de Haitang est l'un des joyaux de l'île de Hainan, à quelque 3.000 kilomètres au sud de Pékin. Mais la nonchalance tropicale de cette station balnéaire a laissé place à une frénésie d'achats. C'est en effet là que vient d'ouvrir la dernière tranche de ce qui est désormais le plus grand duty free du monde : 120.000 mètres carrés de boutiques de luxe où les montres, les sacs, les bijoux se vendent 20% moins cher que sur le continent.

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Il n'en fallait pas plus pour attirer des millions de touristes chinois. "Nous n'avons jamais reçu autant de visiteurs, explique un responsable du bureau du tourisme de Hainan. Les hôtels sont pleins à plus de 80% cet été." Incapables de se rendre en Europe, aux États-Unis ou à ­Hongkong depuis le début de l'année en raison de l'épidémie de Covid-19, les accros du shopping ont jeté leur dévolu sur cette île grande comme la Belgique, élue nouvel eldorado des bonnes affaires.

Nouvelle Mecque du shopping

"Je viens juste de débarquer de Pékin", explique un jeune homme en chemisette à fleurs et chapeau de paille. Sa valise encore à la main, il scrute avec sérieux les vitrines. "Je vais acheter un sac à main pour ma fiancée, des bijoux pour ma mère. C'est moins cher qu'à Hongkong!"

À une heure de vol de là, ­Hongkong n'en finit plus de payer la facture des manifestations prodémocratie. Les touristes chinois, qui représentaient 80% des visiteurs, ont déserté les centres commerciaux de Causeway Bay et les frontières sont fermées pour cause de Covid-19. Hainan pourrait porter un coup sévère à son économie et servir ainsi les plans du président chinois, Xi Jinping, qui veut absorber ­Hongkong dans un vaste ensemble régional.

Chine : Xi Jinping veut transformer l'île de Hainan en un nouveau Hongkong

"J'avais l'habitude de faire mes courses à Hongkong mais c'est encore plus simple ici, on n'a pas besoin de passeport et il n'y a jamais de manifestations", ajoute malicieusement le jeune homme en remontant la file d'attente d'une enseigne italienne.

Le Brésil, l'Afrique du Sud et l'Arabie saoudite ont signé des accords de coopération avec la province

Depuis le début de l'été, les touristes ont dépensé 10 millions d'euros par jour dans ce duty free. Une manne qui échappe en partie aussi à la France, où le panier moyen d'un touriste chinois avant l'épidémie était de 3.000 euros. Vingt millions de Chinois se sont rendus en Europe l'an dernier, ils devraient être cinq fois plus cette année à Hainan! "De toute façon, on ne peut plus avoir de visa pour l'Europe", se lamente une jeune femme.

"Hainan est la carte de visite de la Chine", claironne ainsi le président chinois, qui voit l'un de ses grands projets imaginés en 2013 prendre enfin forme : faire de l'île le symbole de ses ambitions démesurées.Le shopping n'est pas la seule carte dans le jeu de Hainan. Le projet présidentiel prévoit la création de la plus grande zone de libre-échange du continent et la construction d'un port franc d'ici cinq ans. Des forêts de grues cachent désormais certaines des plus belles baies de Chine et les palmiers laissent place à des industries de pointe : santé, éducation, sport, Internet, culture ou encore finances… Des subventions généreuses accompagnent ces projets ainsi que la promesse de visas de travail pour les expatriés prêts à tenter l'aventure. Les impôts sur les sociétés sont plafonnés à 15%… comme à Hongkong.

Le Brésil, l'Afrique du Sud et l'Arabie saoudite ont déjà signé des accords de coopération avec la province, qui se présente désormais comme une alternative crédible à Hongkong. "C'est inquiétant, ­explique l'éditorialiste du quotidien South China Morning Post. Pékin veut faire de l'île une base régionale et intégrer les pays d'Asie du Sud-Est. Bien sûr, il n'existe pas de justice ­indépendante ou de libre mouvement des capitaux comme à Hongkong, mais voyez comment chez nous les choses évoluent dans le mauvais sens. C'est une concurrence qu'il ne faut pas négliger."

Un des QG de la flotte chinoise

Ce projet dans l'une des régions les plus pauvres de Chine, peuplée des derniers pêcheurs nomades la bouche rougie par la noix de bétel, peut sembler à première vue incongru. Mais Hainan n'est pas juste une vitrine consumériste, elle est aussi de longue date le QG de la troisième flotte de l'Armée populaire.

Au cœur même de cette nouvelle Mecque du shopping, l'armée chinoise entretient l'une de ses bases militaires les plus stratégiques, Longpo, où mouillent les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins. Les avions-radars militaires patrouillent en permanence à basse altitude le long des côtes de Hainan, et plus au nord, la base de Tanmen est chargée de la protection des archipels que revendiquent aussi les pays voisins.Nous sommes dans l'une des zones les plus dangereuses du monde, où se côtoient les destroyers américains, japonais, taïwanais, vietnamiens et philippins. Chacun ayant des prétentions sur la zone.

Ces eaux insulaires sont le terrain d'exercices de l'armée chinoise, gardienne des ambitions du pays. "L'un des objectifs essentiels de la Chine est de consolider sa capacité de seconde frappe en cas d'attaque nucléaire", explique Jean-Pierre Cabestan, de l'université baptiste de Hongkong. Et rien n'arrête Xi Jinping, qui a fait de Hainan, toujours elle, la base de lancement de sa conquête de la planète Mars. La fusée Longue Marche 5 a ainsi décollé jeudi de l'île tropicale, provoquant un nouvel afflux de touristes patriotes dans la région.