La Main : l’âme du design montréalais

La Main : l’âme du design montréalais

On y trouve de tout – vêtements, restos, déco – dans différents styles ou gammes de prix, et dans un pot-pourri de cultures qui contribue à la richesse d’une ville. Le boulevard Saint-Laurent est un centre névralgique de la création à Montréal et le lieu où l’on déniche encore ce qu’on ne trouve nulle part ailleurs.

Publié le 15 mai 2021
Isabelle MorinLa Presse

« Sur Saint-Laurent, il y a autant de petits acteurs que de gros calibres. Le boulevard rassemble beaucoup de gens qui aiment le beau et c’est avec eux qu’on voulait s’installer », souligne le directeur des ventes de Kelli, Thierry Blouin-Brown, dont la boutique de mobilier néo-scandinave, qui n’était active qu’en ligne jusqu’à tout récemment, vient d’ouvrir entre Marie-Anne et Mont-Royal, parmi les Biltmore, EQ3 et Latitude Nord.

S’établir sur le boulevard est avant tout une histoire de cœur, convient-il. Bien sûr, il y a d’autres quartiers à Montréal qui sont en ébullition du côté de la création, mais la Main a une histoire. Elle est « vivante ».

Elle [la Main] a toujours été la plaque tournante de tout ce qui est mode et design. Le boulevard Saint-Laurent offre une garantie qu’en le parcourant, on trouvera quelque chose qui nous plaira, et que ce ne sera pas comme partout ailleurs.

Thierry Blouin-Brown, directeur des ventes de Kelli

Boulevard de la création

Le designer Thomas Csano est à l’origine de différentes œuvres murales montréalaises, notamment celle du Manifeste à Paul-Émile Borduas, adjacente à la Grande Bibliothèque, et Jeu de mots, qui jouxte le TNM. Il y a 22 ans, alors publicitaire, il a choisi de s’installer dans l’atmosphère féconde de la Main, près de l’avenue des Pins. Il y a d’abord aménagé son atelier de création, puis y a déposé sa valise en concrétisant son vieux rêve d’habiter dans un loft.

La Main : l’âme du design montréalais

La Main est intimement liée à son parcours, observe-t-il. Il y a fait la rencontre d’autres artistes qui ont eu une influence majeure sur son émancipation professionnelle : créateurs de bijoux, ébénistes, sculpteurs, photographes, artistes de cirque ou designers. Saint-Laurent est son terrain de jeu et un espace qu’il connaît par cœur pour l’avoir arpenté en long et large, ou plutôt du sud au nord, et inversement. Il en aime le côté multiculturel, hétéroclite.

« Je n’aime pas ce qui est fabriqué en série. Ce n’est pas ce qui m’intéresse », indique l’artiste qui est aussi designer d’intérieur à ses heures. On lui doit d’ailleurs l’aménagement de certains bars qui animent le boulevard, le Darling, le Waverly et le Majestique, dont les décors théâtraux ont ce côté convivial et chaleureux propre à leur créateur. Ce dernier, sous l’angle du designer d’espace, s’intéresse surtout aux antiquaires et aux brocanteurs qui, sans être légion sur le boulevard, valent le détour, signale-t-il. Ou encore, aux petits indépendants avec beaucoup de personnalité comme Palma, Design Zola ou Un Monde de M...

Caroline Husband est propriétaire de cette dernière boutique (Un Monde de M...), qui vend des importations d’Asie et du mobilier sur mesure. Au milieu des années 1990, son commerce a eu pignon sur rue angle Duluth et Saint-Laurent, avant de migrer rue Saint-Denis, puis sur l’avenue du Mont-Royal, et de retourner sur le boulevard, il y a six ans. « Le Grand Prix, la vente-trottoir, le Festival d’art urbain... Tout ça est très attrayant pour nous », dit-elle.

Malgré tout, la commerçante se demande parfois si les beaux jours du boulevard ne sont pas chose du passé. Les travaux de voirie lui ont porté un coup dur. La hausse du prix des loyers aussi. Maintenant, la COVID-19 le prive des touristes et habitue les gens à faire leurs achats en ligne. Et puis, il y a la banlieue qui a bonifié son offre et propose du stationnement en abondance. Il reste que « le boulevard a quelque chose d’authentique, réfléchit-elle encore, des établissements qui sont à voir, une couleur qui lui est propre ».

Un peu de tout

C’est un local presque parfait et un loyer abordable qui ont attiré Fanny Vergnolle de Villers sur la Main, il y a neuf ans. Elle y a ouvert sa désormais bien établie boutique V de V au nord de l’avenue du Mont-Royal, dans un tronçon alors moins animé du boulevard. À l’époque, l’entrepreneure s’est questionnée sur l’achalandage de la rue. Les loyers abordables ont cependant créé un intérêt pour le secteur qui s’est développé de manière intéressante avec une multitude d’offres commerciales.

« Quand j’ai ouvert, je ne m’étais pas vraiment rendu compte qu’on était si bien situés, avoue-t-elle. D’avoir une vitrine sur le boulevard Saint-Laurent est une publicité en tant que telle. Et nous, on se trouve au croisement de deux quartiers : au sud du Mile End, au nord du Plateau et au centre de Laurier. »

Les gens, note-t-elle par ailleurs, y circulent autant en voiture qu’en autobus ou à pied, qu’ils soient en transition vers une autre destination, qu’ils viennent y faire une marche ou encore, du lèche-vitrine.

On s’y déplace pour une multitude de raisons. La rue est intéressante parce qu’elle est dynamique et ça la rend intéressante pour les commerçants.

Fanny Vergnolle de Villers

L’amateur de déco trouve aussi son compte dans cette diversité qui rend l’activité agréable et prolifique à la fois. « Quand on refait un décor, fait remarquer Fanny Vergnolle de Villers, souvent, on va se payer un gros morceau comme un beau sofa et aller chercher des petits accessoires qui sont moins dispendieux pour l’habiller. » Ou associer un meuble moderne à un accessoire de brocante, ajouterait Thomas Csano.

« La Main a un esprit, une âme. Et c’est beaucoup plus inspirant qu’un milieu homogène, selon lui. Tu puises aussi l’inspiration de la ville. Tu t’arrêtes dans un café, tu vas prendre un nata [pâtisserie portugaise à la crème], tu vis un moment et tu te nourris de ce que tu vois. Parfois, ce n’est pas le magasin comme le café qui va m’inspirer. Ça fait partie de l’expérience. »