Questions autour de la réouverture de La Samaritaine

Questions autour de la réouverture de La Samaritaine

Seize ans, huit jours. Le 15 juin 2005, la Samaritaine fermait ses portes, pour « des raisons de sécurité » et pour une durée indéterminée. Le 23 juin 2021, elle rouvre enfin. Un tunnel de seize années que personne n’aurait imaginé aussi long. En vérité, tout était prêt pour le lever de rideau dès l’année dernière, mais la crise de la Covid-19 en aura décidé autrement. Et au point où en était LVMH, après avoir investi quelque 750 millions d’euros sur le site, un an de plus, un an de moins…

Repousser la date, c’était se donner les chances de rouvrir dans de meilleures conditions. Pas sûr que ce soit finalement le cas : les touristes étrangers, clientèle principalement ciblée par ce grand magasin très orienté « luxe », ne sont toujours pas revenus à Paris. Mais ils reviendront, c’est le pari qui est fait. Alors, rouvrons…

Le plus petit des grands magasins

Ici, 20000 m², sur cinq étages, sont réservés au grand magasin qui, pour ne pas faire d’ombre aux autres enseignes de la maison LVMH, Le Bon Marché et La Grande Epicerie de Paris, s’interdit de proposer la moindre offre alimentaire. Sur 20000 m², de toute manière, « le plus petit des grands magasins », comme le présente Éléonore de Boysson, présidente Europe et Moyen-Orient de DFS, devait forcément faire des choix. C’est donc tout pour la mode, la joaillerie, l’horlogerie, les cosmétiques et, clou du spectacle, la beauté : 3000 m² rien que pour cette dernière avec, à la baguette, le fantasque designer Hubert de Malherbe qui, assurément, a pu se faire plaisir sur le projet : « Ces 3000 m² ont été conçus comme une déambulation, comme un lieu où chaque femme se sent à tout moment au centre de la capitale, empruntant ses rues charmantes, découvrant les devantures de multiples cafés et d’échoppes raffinées », explique-t-il, en évoquant une circulation rappelant « les plans aléatoires du Paris d’antan. »

Plus globalement, explique Éléonore de Boysson, « notre volonté est de faire de La Samaritaine un lieu de vie, un lieu de découverte célébrant l’art de vivre à la française, un lieu que les parisiens pourront se réapproprier. Un lieu, enfin, qui, nous l’espérons, deviendra incontournable pour les touristes, au cœur de Paris. »

Un trait d’union entre Montaigne et Marais

Questions autour de la réouverture de La Samaritaine

Visuellement, cela fait le « job », c’est une certitude. C’est vrai pour cet espace beauté, comme c’est vrai pour La Samaritaine dans son ensemble. Les espaces sont clairs, aérés, la déambulation est agréable, l’enchaînement des concepts de vente est fluide, naturel, joliment agrémenté de douze points de restauration et de pause disséminés ici et là dans le grand magasin. « Avec LVMH, qui ne fait jamais les choses à moitié, on ne s’attendait pas à une autre chose », commente un fin connaisseur du milieu. Lequel pointe toutefois une légère déception, concernant l’offre : « C’est du très haut-de-gamme, bien plus qu’au Printemps et encore bien plus qu’aux Galeries Lafayette, mais je n’y vois rien de très nouveau malgré tout. »

En tout, quelque 600 marques, dont une cinquantaine exclusives, sont présentes. Les grands noms attendus sont là avec « une offre sélective qui mêle les plus grands noms du luxe mais, aussi, de plus petites marques françaises et internationales. Quelque chose comme un trait d’union entre Montaigne et le Marais », souligne Éléonore de Boysson. L’éventail de prix se veut très large – très large vers le haut, si l’on ose dire – mais, côté « Rivoli », un concept store a cette vocation spéciale de s’adresser au plus grand nombre. Ouvert à des marques plus jeunes, plus « tendances », il a pour rôle d’attirer des clientes et clients… à l’avenant.

« Une promenade, ludique et joyeuse »

Alors, cette Samaritaine, un grand magasin de plus dans un Paris déserté de ses touristes ou le concept store de demain, celui dont on parlera dans le monde entier et qu’il faudra absolument voir, quand on visitera la Ville Lumière ? L’avenir le dira. En attendant, LVMH livre une partition sans fausse note, audacieuse sans être extravagante. « Une promenade, ludique et joyeuse, ponctuée de surprises et de découvertes », promet Éléonore de Boysson. Et puis, « une ouverture d’une telle ampleur, à Paris, cela n’arrive pas tous les ans », salue Pierre-François Le Louët, président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin et président de l’agence Nelly-Rodi, spécialiste du conseil en stratégie et expert de la prospective. « C’est un très beau et très grand magasin, avec une résonance très internationale, ce qui va participer à redonner une attractivité à Paris », poursuit-il.

Remplacer Colette ?

L’enjeu est là, tout entier résumé : Paris, pour la mode, pour le luxe, est-elle toujours Paris ? Rien n’est moins sûr. Que l’on se souvienne de la fermeture du magasin Colette, rue Saint-Honoré. C’est certes ancien, datant de fin 2017 mais, depuis, ce concept store qui a fait l’admiration du monde entier, n’a pas été remplacé. Pire encore : avec la disparition de Colette, c’est tout le Triangle d’Or parisien qui souffre. « Missoni, Manoush, Sportmax, Stuart Weitzman, Clergerie, Bonpoint la semaine dernière, Diane von Furstenberg… Je pourrais rajouter une quinzaine d’autres commerces qui ont fermé dans un rayon de 150 m autour de ce qui était autrefois l’épicentre du shopping mondial », énumère François Le Louët, intervenant lors d’une rencontre organisée par la CCI Paris-Ile-de-France, qui ajoute, inquiet : « Ce que je constate en parlant avec les patrons de la mode mondiale, c’est que paris n’est plus la priorité pour eux. »

Un immense défi à relever

Les mots sont durs. Ils ont le mérite de poser le constat. Ils ont le mérite, surtout, de montrer à quel point le défi se posant à LVMH, avec La Samaritaine, est immense. Ce magasin rouvre à une période cruciale du commerce parisien. Cruciale et terriblement incertaine. Les Galeries Lafayette, boulevard Haussmann, n’ont-ils pas perdu la moitié de leur chiffre d’affaires avec la crise ? Et le groupe n’envisage aujourd’hui pas un retour au niveau d’avant pandémie avant… 2024.

Entre 2019 et 2020, les flux de trafic, dans le IXe arrondissement de Paris où se situent les Galeries Lafayette, ont baissé de 44% selon les données de MyTraffic. Dans le Ier arrondissement – celui de La Samaritaine – le recul est supérieur encore : -55%... Dit plus clairement : cela n’augure pas d’un succès aussi facile qu’un simple claquement de doigt. En tout cas pas tant que les touristes ne seront pas revenus… « Cela prendra un petit peu de temps pour prendre son essor », reconnaît Eléonore de Boysson. Mais cette dernière se veut « confiante » et « ambitieuse », évoquant, « d’ici trois à quatre ans, un minimum de 5 millions de visiteurs. » Jean-Jacques Guiony, PDG de La Samaritaine, estime quant à lui réalisable « l’objectif d’atteindre les niveaux de chiffre d’affaires au mètre carré du Bon Marché, à terme. »

Une information qui ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. Le Bon Marché s’étale sur environ 30000 m² et, pour 2019, affichait un chiffre d’affaires supérieur à 500 millions d’euros, si l’on en croit les données des greffes des tribunaux de commerce. Soit une moyenne de plus de 17000 euros du mètre carré. Pour La Samaritaine, cela donnerait ainsi un minimum de 350 millions d’euros. Nous avions estimé le potentiel un brin plus haut, il y a dix-huit mois de cela à LSA. Aux clients de jouer pour nous départager…

Les premières photos avant un diaporama plus complet :