Philipp Plein, le bling bling business

Philipp Plein, le bling bling business

Tu sais ce que signifie une crise ? » Attablé au restaurant du palace parisien George-V, Philipp Plein, qui finit d’avaler ses pâtes à la truffe noire, attend que l’on réponde « non » pour ménager son effet : « Une crise, c’est la possibilité de gagner plus d’argent. » Le designer allemand de 39 ans à la tête de la marque de vêtements qui porte son nom aime non seulement les questions rhétoriques, mais aussi la provocation, les confidences sur le business des riches et puissants, et « dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas ». Dans l’univers ouaté du luxe, il détonne, et jusqu’ici, ça lui réussit.

Lancée en 2004, son entreprise, située à Lugano, en Suisse, emploie 700 personnes, rassemble trois marques (Philipp Plein, Plein Sport et Billionaire Couture) et compte 159 points de vente dans le monde. Son chiffre d’affaires augmente à une vitesse vertigineuse : il a atteint 270 millions d’euros en 2017 contre 175 millions en 2015 et 8 millions en 2008. PP, c’est une histoire de chiffres, mais surtout d’image. Le nom est synonyme de défilés mirobolants, où des camions déchargent des convois de beautés court vêtues et de tatoués qui roulent des mécaniques, où le catwalk, qui peut héberger des jet-skis, un hélicoptère ou des montagnes russes, finit par se transformer en concert, fête foraine ou course automobile – tout semble possible avec PP.

Sur les réseaux sociaux, ces happenings cartonnent et cohabitent harmonieusement avec les photos de sa demeure à Cannes baptisée « La Jungle du roi », son « château » en construction à Los Angeles, son showroom avec vue sur Central Park à New York, ses voyages en jet privé, ses Ferrari, Rolls, Lamborghini, et ses girlfriends brunes à forte poitrine qui se suivent et se ressemblent (« je vieillis et elles rajeunissent », remarque-t-il devant la dernière en date). Les bouteilles de Dom Pérignon arrosent cette vie de bombance. Philipp Plein incarne un style de vie, celui du self-made-man qui jouit sans entrave de son argent.

Une Cendrillon SM

Toujours entre deux avions, l’Allemand est dur à attraper. On finit par le rencontrer à Paris, en décembre 2017, où il fête l’ouverture de sa nouvelle boutique avenue George-V. A la conférence de presse où il arrive avec les 90 minutes de retard dont il semble coutumier, il explique qu’une de ses voitures s’est fait braquer en sortant de l’aéroport du Bourget, ce qui ne l’empêche pas de débiter des platitudes sur Paris, « ville magique ». Au milieu de son magasin en marbre, Philipp Plein, en jean et tee-shirt noir de son cru, harangue les journalistes qui n’avaient rien de plus urgent à faire que de l’attendre. Il se rend sympathique avec sa tchatche et son accent allemand à couper au couteau, se vante des performances de son site de vente en ligne, écume son répertoire de punchlines : « you can be a brand or a trend », « a company is not a democracy »… (tu peux être une marque ou une mode, une entreprise n’est pas une démocratie).

Philipp Plein est un homme si pressé que les interviews en tête à tête avec lui se font en même temps qu’autre chose. On l’interroge donc pendant qu’il déjeune avec son équipe. Il nous commande d’autorité un « champlein », soit un mélange hérétique de champagne et de Red Bull – du reste, il ne boit pas d’alcool car son « père était un alcoolique qui tapait (s)a mère ». Philipp Plein affectionne les confidences, surtout quand elles soulignent sa force de caractère et nourrissent sa légende. Pendant deux heures, il raconte en détail son irrésistible ascension, son conte de Cendrillon dont il est le héros. (Il a d’ailleurs créé un tee-shirt à l’effigie de l’héroïne Disney où elle apparaît ligotée, bâillonnée, culotte apparente, dans une position suggérant un jeu SM).

Philipp Plein, le bling bling business

Philipp Plein a grandi à Munich, dans une famille aisée ; pragmatique, il a d’abord envisagé de devenir avocat, car « nos vies sont fondées sur des contrats ». Mais ses études juridiques sont de courte durée. « Je trouve ça très déprimant d’être avocat au quotidien, d’aller au tribunal et d’être dépendant d’un système qui ne fonctionne pas bien. Il y a des lois qui autorisent d’autres lois, des niches… Quoi qu’il en soit, j’aimais mes études, mais j’ai commencé à dessiner des lits pour chiens. » L’implacable logique Philipp Plein.

L’idée lui est venue de sa mère. Celle-ci avait acheté des coussins Burberry pour ses chiots, dézingués en deux coups de griffes. PP se dit qu’il y a un marché pour le lit de chien de luxe résistant. « Alors je suis allé dans ma chambre, j’ai fait un dessin, style Le Corbusier. J’ai enregistré ma marque en 1998, j’avais 20 ans. » Le business canin ne se révèle pas si lucratif, il se tourne alors vers l’ameublement. « J’ai fait ce bureau en crocodile [il montre sur son téléphone], c’était un gros succès. C’était avant Fendi Casa, Armani Casa… J’étais le premier et les gens en étaient dingues, je pouvais le fabriquer dans toutes les couleurs. Brillant, mat. J’ai vraiment gagné de l’argent avec ça. »

Avec les chutes de peaux, il se met aux sacs, et c’est le déclic. « Je n’ai jamais voulu faire de la mode. C’est juste qu’il y avait tellement plus d’argent à gagner. Regarde-moi, essaie de comprendre ce que je te dis. [PP aime avoir toute l’attention de son auditeur.] A quel rythme tu achètes une chaise ? A quel rythme tu achètes une paire de chaussures ? Et puis il y a le prix. 1 500 euros pour une chaise, c’est cher. Quand tu vois un sac à 2000 euros, tu te dis, ça va. La marge sur le sac est 10 fois supérieure à celle de la chaise. Et tu le vends 1 000 fois plus facilement. » Philipp Plein développe aujourd’hui sa marque suivant la même logique. En 2016, il a lancé Plein Sport parce qu’il considérait qu’il n’y avait pas de marque de sport de luxe ; il se concentre sur l’homme avec Billionaire Couture parce que « l’homme est un client fidèle » (par opposition aux femmes, « l’espèce la plus difficile du monde »).

Lacrim est un fan officiel

Philipp Plein parle rentabilité, croissance, marketing, mais jamais de style. Le point commun de ses collections, c’est le bling maximaliste. Des jeans délavés déchirés brodés, des manteaux de fourrure, des cuirs exotiques ostensiblement chers, des crânes (sa marque de fabrique) en strass, des gueules de tigre rugissant, du doré. « Il y a tellement de clous et de chaînes que ce n’est plus des habits, mais du design sonore », ironise une styliste.

« Il a créé sa marque en peu de temps, en usant de codes populaires sur des habits qui accrochent l’œil et forment des collections très vendables, estime Gachoucha Kretz, professeur de marketing à HEC. Il répond au besoin de ceux qui ont de l’argent et veulent le faire savoir : un achat Philipp Plein les place en haut de la pyramide sociale. » Peu de marques osent se positionner sur ce segment du luxe clinquant, et celles qui ont frisé la démocratisation ou la vulgarité reviennent en général au chic élégant.

Philipp Plein, qui n’a donc pas beaucoup de concurrence, plaît beaucoup aux jeunes, aux footballeurs, aux rappeurs. En France, Lacrim est un fan officiel. « Je fais de la musique. Le côté strassé, voyant, excentrique de ses vêtements, ça colle avec mon image », explique le rappeur qui cite un jean blanc avec une grosse tête de requin derrière et l’inscription « Bite me » (mords-moi) parmi ses pièces préférées.

Le style PP n’est pas original, mais le patron assume. « Personne ne réinvente rien en mode et nous non plus, affirme Philipp Plein. Le produit n’est que secondaire, il change tout le temps. Ce qui reste, c’est ton nom sur tes boutiques, ton image de marque. Tu ne vends que des rêves. Et on a inventé une nouvelle manière de communiquer le rêve aux gens. » Centrée sur son personnage et sa vie de nabab. « Sa marque est indissociable de lui. C’est comme Cristiano Ronaldo et le Real Madrid », observe Lacrim qui admire son « humilité » et son « ambition ». « Qui est Hugo de Hugo Boss ? Philipp Plein, tu peux le toucher, explique l’intéressé (qui parle parfois de lui à la troisième personne, façon Alain Delon). C’est une vraie personne ayant accompli quelque chose qui semblait impossible. »

A la tête d’une tribu

« C’est un excellent communicant qui a tout compris aux réseaux sociaux », souligne Gachoucha Kretz. Pour se faire connaître, Philipp Plein a repris l’idée de se constituer une tribu à la manière d’un Riccardo Tisci ou d’un Olivier Rousteing, et a choisi de ne s’entourer que de personnes déjà extrêmement influentes sur le Net : des chanteuses (Madonna, Nicki Minaj ou Fergie), des rappeurs (Lacrim, Chris Brown, Snoop Dog…), des it-girls déglinguées (Paris Hilton, Lindsay Lohan), des mannequins populaires, notamment Jeremy Meeks, un ancien taulard devenu célèbre après la parution de sa photo d’identité judiciaire.

En plus de ces stars grand public, Philipp Plein s’est payé les services de professionnels très réputés : la styliste Carine Roitfeld, le producteur de défilés Etienne Russo, le photographe Steven Klein, le bureau de presse Karla Otto… Le petit milieu de la mode a longtemps regardé avec dédain cet outsider qui clame son amour de l’argent et se fout du bon goût. Aujourd’hui, on continue de parler de lui comme d’une blague, mais on vient à ses shows, ses fringues figurent dans les magazines de mode, où il est généralement annonceur.

114

Reste que son ascension fulgurante intrigue. Philipp Plein dit qu’il a démarré en 1998 avec 20 000 deutschmarks de son défunt grand-père, qu’il a édifié seul son empire, qu’il n’a jamais eu d’investisseurs, n’a pas contracté de dettes ni de prêt à la banque. Les analystes financiers interrogés trouvent vraisemblable le scénario d’une fortune sainement acquise. « C’est possible, assure Luca Solca, directeur chez Exane BNP Paribas. On a des exemples de designers venus de nulle part qui sont devenus très riches, comme Armani ou Versace. »

Pour Eric Briones, cofondateur de la Paris School of Luxury, il est plutôt comme le Donald Trump des années 1980 et 1990 : un businessman qui vend un style de vie, pour qui l’argent est le seul marqueur de réussite ; un gourou de développement personnel fidèle à son clan qu’il présente comme une dynastie et adepte des femmes trophées. Pour l’instant, Philipp Plein n’a pas brigué le poste d’Angela Merkel.

Elvire von Bardeleben

L’espace des contributions est réservé aux abonnés. Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.S’abonner Déjà abonné ? Se connecter

Voir les contributions