Hong Kong Style

Hong Kong Style

Reportage Serge Barret Photos Alain Parinet.

Et effectivement, ça marche ! Dès lors qu’on pensait ne trouver que du vu et du revu, qu’on s’attendait à la nième carte postale ; dès lors qu’un rien snobish, on a vaillamment essayé de décliner l’excursion du Victoria Peak sous prétexte qu’on souhaitait découvrir un Hong Kong trendy ; même si tout cela et plus encore, on ne regrettera pas un instant de s’être laissé convaincre.

Car le Victoria Peak, autrement dit la montagne qui domine à 554 m la baie de Victoria, est à Hong Kong ce que le Corcovado est à Rio. Tout simplement époustouflant ! C’est sans aucun doute l’un des plus beaux paysages maritimo-urbains du monde, une merveille qu’on atteint en une dizaine de minutes via un funiculaire délicieusement rétro traversant, sur des pentes inclinées à 30 °, des sous-bois tropicaux fort prisés par les ultra riches.

À ses pieds, s’étend une forêt de gratte-ciel longilignes, extrêmement concentrés, dont certains, véritables chefs-d’œuvre de béton et de verre, sont signés par les plus grands architectes du monde tels Norman Foster pour le siège de la banque HSBC ou I.M. Pei pour la Bank of China.

Mythiques star ferries

On s’émerveillera surtout devant l’hyper activité de la baie de Hong Kong que sillonnent les cargos par dizaines, les porte-conteneurs surchargés ou les mythiques Star Ferries vert et blanc. Au-delà du chenal que l’on traverse en à peine dix minutes, s’avance la péninsule de Kowloon, elle aussi hérissée de tours au touche-touche…

Pour l’instant, et toujours depuis ce Peak, choisissons de rester visuellement sur l’île de Hong Kong et zoomons sur la magie de la scène – un vrai plateau de théâtre – pour mieux repérer les lieux de la future découverte. C’est d’ailleurs assez simple : en contrebas et droit devant, c’est Central District, cœur historique de l’île aujourd’hui royaume des affaires et de la finance. Accolé sur son ouest, c’est Old Town Central, secteur où, le 26 janvier 1841, fut planté le drapeau anglais.

C’est là, autour de Tai Ping Shan Street et Po Hing Fong, dans ce qui fut autrefois le quartier de prédilection des marins, des monte-en-l’air et des trafiquants multirécidivistes que s’installent aujourd’hui – ou rêvent de s’installer, les loyers à Tai Ping Commons étant hors de prix comme partout sur l’île – les jeunes urbains œuvrant le plus souvent dans des secteurs créatifs.

Alors, descendons du Peak et entrons dans la danse avec un urban trek très tendance, sillonnant des ruelles en dénivelé, dégringolant des escaliers à la volée, découvrant des bâtiments de quatre ou cinq étages guère plus, des écoles et des enfants, des mini parcs et des plantes en pot posées à même la rue.

Et au milieu de tout ça, vient ici une galerie d’art contemporain et là une antique épicerie chinoise, puis une boutique de mode, à moins que ce ne soit de design, voisinant un improbable garage, véritable décor d’après-guerre, et ailleurs un café-bar hype s’accommodant à la bonne franquette de la proximité d’un marchand de cercueils. Le design froid, épuré, aseptisé, propre sur lui jusqu’à l’ennui, et finalement partout pareil à travers le monde, n’a pas encore tué la chaleureuse ambiance du coin. Du moins pas trop, dirons-nous pour être plus juste…

Le hong kong de suzy wong

Indéniablement, il fait bon vivre à Tai Ping Commons. Et s’y promener, donc ! Se laisser aller par exemple à passer d’un fleuriste très tendance à un temple, le Man Mo, le plus vieux temple chinois de la colonie (1848) ; ensuite, presque en face, pousser la porte très confidentielle du Mrs Pound, un restaurant imaginé sur le modèle discret d’un speakeasy à la Chinoise, ou traverser la rue pour déguster un peu de jambon espagnol à la Reserva Iberica, succursale de la célèbre maison barcelonaise ; puis acheter du thé chinois chez Teakha ; enfin, et presque par hasard, découvrir la très belle architecture de l’ancienne YMCA, un bâtiment de 1918 – école de Chicago tout de même – rénové et transformé en centre communautaire et ateliers.

Hong Kong Style

En descendant la colline, on tombe sur Holly­wood Road, l’une des plus grandes avenues de la ville où fut tourné dans les années 60 une bonne partie du film Le monde de Suzy Wong. C’est aujourd’hui la rue des antiquaires qui, tous ou presque, exposent dans leur vitrine de merveilleux chevaux Tang hors de prix. On gagnera alors à se rabattre sur la rue parallèle, Upper Lascar Row, tant pour son ambiance que pour ses pièces proposées. En fait, c’est le marché aux puces de Hong Kong. On y trouve donc tout et n’importe quoi, depuis des affiches et objets de propagande de l’époque de Mao jusqu’aux pipes à opium du temps de la colonie anglaise.

En chinant un peu, on tombe parfois sur de petites merveilles, de la porcelaine surtout, qu’il est de bon ton de marchander. Dans tous les cas, cela fera des cadeaux-souvenirs de bien meilleur goût et finalement guère plus cher que les habituelles babioles criardes écoulées dans les magasins pour touristes.

Si la forme physique est toujours là après tout ça – c’est épuisant, tous ces faux plats, ces montées et ces descentes entrecoupées d’escaliers maladroits –, on descendra jusqu’aux canyons du quartier des affaires, un mini Manhattan asiatique. La foule est jeune, sans doute pressée, un peu formelle dans sa tenue vestimentaire et immanquablement installée autour de cocktails multicolores à l’heure des happy hours.

On remarquera au passage l’omniprésence de la langue de Molière, ce qui n’échappe pas non plus aux oreilles des Hongkongais qui en concluent, un peu trop vite peut-être, que la “jeunesse française quitte son pays faute de travail”.

Et puis c’est le retour à Kowloon, de l’autre côté de la baie, là où sont placés bon nombre d’hôtels de luxe, voire de très grand luxe, pouvant recevoir des touristes d’affaires. Il ne viendrait à personne, surtout pas à un groupe corporate qui n’est généralement pas là pour s’économiser, d’emprunter l’un des tunnels percés sous la mer pour rejoindre le continent. Ils préfèrent, dans 99 % des cas, tenter la mythique expérience du Star Ferry, ces bateaux verts et blanc rondouillards qui font la navette entre les deux quartiers depuis 1888.

Les modèles actuels remontent aux années 50-60 et les Hongkongais y sont si attachés qu’ils ne changent aucunement le look des nouveaux bateaux qui, à l’instar des tramways à impériale, proposent deux étages, seconde classe au premier, première classe au second. Les banquettes patinées sont en bois, et cela ajoute au charme de la traversée, offrant tout juste le temps d’admirer la fabuleuse skyline de Hong Kong sur l’arrière du bateau-bus. La nuit, tous ces buildings éclairés multicolores, toutes ces gigantesques pancartes publicitaires perchées haut dans le ciel, participent carrément du feu d’artifice.

Escapades fooding

Et tant qu’à poser le pied sur la péninsule de Kowloon, autant le poser dans son authenticité en parcourant, loin des images d’Épinal, le quartier de Sham Shui Po. Pourquoi là ? D’abord parce qu’une petite société, la Hongkong Foodie Tasting Tours, y organise des escapades fooding, décidément très tendance partout dans le monde. Ensuite parce que ce même quartier est réputé – tout le monde y va, c’est un vrai shopping center spécialisé – pour son implication à prix cassés dans le matériel high-tech, que ce soit des ordinateurs, des smartphones ou des gadgets dernier cri.

Et enfin parce qu’on découvre ici le revers de la scène hongkongaise, le monde coloré et bruyant des petites gens, dont 170 000 d’entre eux habitent, malgré des loyers du niveau de ceux des beaux quartiers parisiens, dans de minuscules appartements de 6 m2 et même moins. Du coup, l’essentiel de leur existence se passe à l’extérieur, ce qui transforme la rue en véritable chaos. Ce fooding tour est donc aussi une façon originale de découvrir un quartier loin des sentiers battus, passant d’un marché à l’autre, d’un secteur consacré au high-tech à un autre spécialisé dans les tissus. D’une pierre trois coups, en quelque sorte. Au total, ce seront six restaurants qui seront visités lors d’un tour de trois heures, de neuf heures à midi.

Six établissements sans chichis, chinois jusqu’au bout des ongles, bruyants jusqu’aux boules quies, se souciant peu du décor pour privilégier leur spécialité. On passe ainsi du soufflé à l’ananas – extraordinaire – au rouleau de riz, du tofu au lait de soja au porc rôti – magnifique – ou au canard laqué , des gâteaux secs aux nouilles aux œufs… Entre chaque restaurant, la guide y va de son commentaire, montrant ici la discrète échoppe d’un prêteur sur gages, là un bâtiment spécialisé dans le jeu de mah-jong et ailleurs, photos de l’intérieur à l’appui, un building abritant ce qu’on appelle des appartements-cages, autrement dit des espaces de 3 m2, parfois moins encore, avec porte de grillage effectivement façon cage et sans la moindre ouverture extérieure. La face cachée de Hong Kong.

Pour autant, ce quartier qui était autrefois aussi celui des fabriques, textiles notamment, est lui aussi en pleine mouvance. Créateurs et artistes s’y installent, notamment près d’une ancienne auberge de jeunesse, la Wontonmeen, transformée en pépinière pour jeunes talents. De leur côté, des galeries d’art contemporain suivent cette évolution, à l’image de la 22 Degrees North.

Retour au calme

Le soir, toujours sur Kowloon, on n’échappera pas à l’un de ses must, la Nathan Road, longue avenue traversant la presqu’île du nord au sud qui s’illumine de centaines, peut-être même de milliers de néons multicolores, posés en long, en large et en travers, correspondant parfaitement à l’image qu’on se fait de Hong Kong by night.

S’alignent en vrac, et le mot est faible, des magasins populaires, des échoppes à touristes, des galeries marchandes, des bars, des restaurants, des fast foods chinois, des gargotes, des tailleurs de vêtements sur mesure, des boîtes de nuit, des sons, des calicots, des lumières encore, et la foule, la foule, la foule… Il y a des musées aussi, le musée d’histoire ou le musée de l’espace, ainsi que des hôtels de toutes catégories, dont l’ historique, très luxueux et très glamour Peninsula qui propose de forts britanniques afternoon teas dans le calme absolu de ses salons chuchotés.

Mais le calme, le vrai, on le trouvera dans un tout autre monde à seulement une demi-heure de bus à impériale du centre de la folle cité. Car on l’oublie trop souvent, mais la plus verticale des villes de la planète n’est pas que cette explosion de buildings fichés en bord de mer. On peut se mettre au vert sur l’île même de Hong Kong et découvrir une nature qu’on croirait, par instant, presque provençale. Comme ce “dos du dragon”, une montagne ronde qui propose une randonnée pédestre très facile, de 45 minutes à trois heures, traversant ce qui ressemble à s’y méprendre à la garrigue du sud de la France. Mieux ! Comme pour lui faire écho, la mer en contrebas se pare de tous les bleus de la Méditerranée.

Et, pour ajouter encore à l’inattendu, la randonnée conduit jusqu’à Shek O, un village de pêcheurs sans prétention aujourd’hui reconverti en station balnéaire à la bonne franquette, avec toits de tôle, lanternes suspendues et fleurs en plastique. Hors saison, c’est un bonheur. Peu ou pas de voiture, une plage de sable blanc, des bistrots sans façon et des cafés-restaurants à terrasse. De délicieux jours tranquilles en bord de mer de Chine à une demi-heure seulement des lumières de la ville.

Chine : Hong Kong Style