Mais au fait, comment traduire “fake news” en français ?

Mais au fait, comment traduire “fake news” en français ?
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Jérémie Maire

Publié le 29/03/17 mis à jour le 08/12/20

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Faut-il dire “fausse info”, “bobard”, contre-vérité ? Avec le déferlement du phénomène, les médias français n’ont pas pris le temps de traduire l'expression, comme de nombreux lecteurs de “Télérama” nous l’ont déjà fait remarquer. Une traductrice, un historien et un linguiste se penchent sur la question.

Fake news partout... mais surtout français nulle part. L’expression, en provenance directe du Royaume-Uni ou des Etats-Unis, est arrivée telle quelle dans les médias français, sans que personne n'ait vraiment pris le temps de la traduire dans la langue de Molière. D’ailleurs, quand Télérama se saisit de la question de la prolifération des fake news, il n’est pas rare que nos lecteurs nous alpaguent, à juste titre, et nous demandent de nous pencher sur une concordance francophone. Mais elle n’est pas si simple. Comment traduire une pratique qui relève, selon les cas, à la fois du pastiche humoristique (Le Gorafi en France, sur le modèle de The Onion aux Etats-Unis), d’articles franchement orientés (Breitbart News aux Etats-Unis, soutien ouvert à Trump, Sputnik ou Russia Today à fort tropisme russe) ou de publications issues des sites qui reprennent le nom ou le graphisme de vrais médias (NBC.com.co, par exemple, qui n’a rien à voir avec le site de la chaîne américaine). D’ailleurs, le terme « fake news » n’est-il pas en lui-même une appellation trop étriquée pour autant de concepts ? Une traductrice, un historien spécialiste de la désinformation et un linguiste tentent l’expérience de l’adaptation en VF.

Abonné“Fake news” : fausses infos, vrai casse-tête Tendance

Bérengère Viennot, traductrice : “Il n’est pas choquant de parler de fake news à condition de connaître le contexte”

« Pour traduire le terme “fake news”, tout dépendra évidemment du contexte dans lequel on parle et dans lequel se trouve le lecteur, selon le vieux principe du traducteur de “non-imbécillité du récepteur”. Aussi, il y a plusieurs choix : “fausse information” serait une traduction littérale qui ne couvrirait pas le concept dans sa globalité. Cette expression laisse entendre que l’info est erronée, une faute commise, par exemple, par le journaliste. Dans ce cas, on parlerait plutôt de “wrong news” dans la langue d’origine. Or, le terme anglais compte la notion de tromperie délibérée. “Information fallacieuse” pourrait être une bonne alternative, mais l’expression est trop soutenue pour un contexte journalistique. Un peu comme pour le terme “désinformation” : proche du sens – car il y a l’idée de tromper délibérément – mais difficile à placer syntaxiquement dans une phrase. En outre, pour ce qui est de l’expression “faits alternatifs”, apparue dans la bouche de Kellyanne Conway, la conseillère en communication de Donald Trump, on s’éloigne alors du contexte des médias pour se rapprocher d’une “réalité alternative”, qui engloberait un système, la politique… une autre société, persuadée d’être dans le vrai. L’important, alors, serait de traduire avec une expression qui fait réagir le lecteur de la même façon que son homologue étranger. Notre métier consiste à traduire une culture plus que des mots. Si dans la culture d’arrivée (en l’occurence le français), les mots n’existent pas pour retranscrire une idée aussi complexe, alors il n’est pas choquant de laisser le terme anglais – quitte à l’expliciter par une périphrase.Bérengère Viennot est l'auteure de “Traduire Trump, un casse-tête inédit et désolant” pour Slate.

François-Bernard Huyghe, historien: “Si on a du mal à le traduire, c’est peut-être parce que ce genre de pratiques n’existe pas encore”

« Que l’on parle de “fact checking”, “fake news” ou “hoax”, les anglicismes pullulent quand il s’agit de ces tendances au mensonge ou à leur vérification ou démontage. C’est notamment à cause d’événements et de tensions dans le monde anglosaxon, comme le Brexit ou l’élection de Donald Trump. Aussi, la banalisation du terme “fake news” est particulièrement récente même si les mensonges, bobards ou canulars ont toujours existé. Ce terme aux frontières floues comporte de nombreuses nuances, allant de l’affabulation (un faux inventé, une variante de la diffamation), à l’ironie (le plus gros possible pour jouer sur la crédulité) en passant par la simple rumeur (où un fond de vérité est possible). Si la pratique est ancienne, le terme, lui, est nouveau, tout comme son processus de fabrication (très rapide à réaliser), sa facilité à y accéder (partout sur les réseaux sociaux) et son succès potentiel (face à l’incrédulité ou la défiance face aux grands médias). Dans le terme “désinformation”, on retrouve la volonté de tromper via des sources neutres. Or, il est difficile de qualifier Breitbart, par exemple, de désinformer, car ce site est très partisan. Il y a dans la fake news une dépendance à la réalité : la première n’existe pas sans l’autre. Cette réalité est mise à mal dans cette période dite de post-vérité, où le statut du vrai est en crise. Certaines masses ou des hommes et femmes politiques se fichent qu’une chose soit vraie ou pas, pourvu que le fait satisfasse leurs passions. Cela rejoint la notion de "faits alternatifs" qui traduit une lutte poussée jusqu’à la caricature des soutiens à Trump. Si en France on a du mal à traduire ce terme de “fake news”, c’est peut-être qu’ici, nous n’avons pas encore de personnes qui, tranquillement face caméra, assènent des propos à la fausseté évidente sitôt qu’on passe cinq minutes à les vérifier. Il y a certes des délires dans la presse, des approximations de politiques, mais qui restent de l’ordre de l’interprétation ou de l’opinion. Des affirmations aussi mensongères n’existent pas encore. Cela veut-il dire que nous sommes moins menteurs ? Nos médias plus sérieux ? Je n’ai pas de réponse ! »François-Bernard Huyghe, spécialiste de la désinformation est l'auteur de La désinformation, les armes du faux (Armand Colin).

Militant raciste et employé de Canal+ ? Un bel exemple de “fake news” made in FN Vu sur le Web

Louis-Jean Calvet, linguiste : “Ce terme est désormais présent dans l’inconscient collectif.”

« En général, on opte pour le terme “vérité alternative”. Mais celui-ci implique qu’il y ait des vérités différentes et qu’on changerait de monde. On se rapproche d’Orwell ! Or, ce n’est pas ce que signifie “fake” en anglais. On pourrait rapprocher “fake news” de “bobard”, mot du registre populaire, comme “fake” en anglais –, ou “contre-vérité”. “Fallacieux” est peut-être un peu gentil, tandis qu’“erroné” ne colle pas vraiment au plus près. Dans “fake”, il y a la notion à la fois du langage courant et d’une histoire fabriquée, tel un faux tableau. Ce terme est désormais présent dans l’inconscient collectif. Faut-il pour autant le laisser tel quel, sans traduction comme on le fait avec certains titres de film ? Si on ne l’adaptait pas, on entendrait que les fake news sont un fait entièrement anglophone – puisqu’il semble assez cohérent de ne pas traduire ce qui est typiquement anglosaxon, comme des corn flakes, par exemple. Mais ces fake news ne sont pas spécifiquement américaines. Lorsque François Fillon parle du suicide de sa femme annoncé à la télévision, c’est un cas typique de fake news. La traduction est une science difficile et pas toujours exacte… On dit que la honte du traducteur est la note de bas de page. C'est-à-dire laisser un mot dans sa langue d’origine, sans chercher à le traduire. Il serait dommage de ne pas laisser à disposition du lecteur le plus d’expressions qui retranscrivent le concept. »

Jérémie Maire

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