Les horlogers suisses retrouvent le sourire à Hongkong

Les horlogers suisses retrouvent le sourire à Hongkong

Les boutiques des horlogers sont disposées en arc de cercle à l’étage du T Galleria, un centre commercial à Tsim Sha Tsui, un quartier de Hongkong fréquenté par les touristes chinois en quête de biens de luxe. Piaget y a créé un bar à montres décoré de feuilles tropicales. Chez Blancpain, ce sont les boiseries claires et les lampes Belle Epoque qui dominent. Longines a placé un panneau à côté de la caisse pour indiquer que les paiements avec l’app WeChat sont acceptés.

En cet après-midi de fin juillet, l’ambiance est frénétique. Des jeunes femmes déambulent, les bras chargés de sacs Louis Vuitton et Chanel. Une famille a défait ses valises à même le sol, cherchant à y caser ses derniers achats.

Spectaculaire rebond des ventes

A Hongkong, le plus important marché pour l’horlogerie helvétique, les ventes de montres suisses affichent une insolente bonne santé. En juin, elles ont crû de 39% pour atteindre 270 millions de francs. Durant le premier semestre de 2018, elles ont progressé de 30%, à 1,5 milliard de francs.

Du côté des boutiques, on confirme la reprise. «Nous avons vu nos ventes croître de 20% par mois ces trois derniers mois, indique Karson Choi, le patron de Unique Timepieces, un réseau de 23 enseignes qui vendent de nombreuses montres suisses.

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Ce rebond, qui s'est manifesté en été 2017 et a pris de la vitesse depuis le début de l’année, représente un spectaculaire retournement de situation. Courant 2015, à Hongkong, les ventes horlogères helvétiques ont en effet plongé. «Nous sortions d’une décennie dorée au cours de laquelle la plupart des marques avaient étendu leur réseau de boutiques et les revendeurs avaient massivement augmenté leur stock», se remémore Harold Sun, le président de la Fédération horlogère de Hongkong.

Le coup d'arrêt de la campagne anti-corruption chinoise

Mais le lancement d’une vaste campagne anti-corruption par le président chinois Xi Jinping a porté un brutal coup d’arrêt à cette période d’euphorie. S’étaient ensuivies deux années de disette. Incapables d’écouler leur stock, plusieurs revendeurs ont dû mettre la clef sous le paillasson. Des marques suisses, à l’image de TAG Heuer, ont aussi dû fermer des magasins.

Echaudés par cette crise, les détaillants continuent de se montrer prudents. «Peu de nouvelles boutiques ont vu le jour ces derniers mois», note Thierry Dubois, le représentant à Hongkong de la Fédération horlogère suisse. L’humeur est à la réduction du réseau. «Nous avons fermé plusieurs points de vente ces dernières années, indique David von Gunten, qui dirige la division chinoise d'Audemars Piguet. Nous préférons en avoir moins et nous concentrer sur ceux qui sont les mieux placés.»

Les horlogers suisses retrouvent le sourire à Hongkong

Se mettre à portée des «personal shoppers»

Les enseignes multimarques ont, quant à elles, renoncé à reprendre leur place dans les quartiers les plus prestigieux, comme Tsim Sha Tsui et Causeway Bay. «Certaines ont ouvert des magasins près de la frontière chinoise, là où les loyers sont moins chers, déclare Harold Sun. Cela les met à portée des personal shoppers qui viennent acheter des montres pour les Chinois fortunés.»

Le profil des acquéreurs a également évolué. Les Chinois continuent d’en représenter l’immense majorité – de l’ordre de 70% – mais leur part a diminué au profit des acheteurs locaux et des autres touristes. Les Chinois profitent désormais de leurs séjours en Europe ou ailleurs en Asie pour faire le plein de garde-temps helvétiques.

Les marques ouvrent des showrooms directement sur sol chinois

Et ils sont toujours plus nombreux à faire leurs achats à la maison. «L’offre de montres suisses a beaucoup progressé sur sol chinois, relève Thierry Dubois. De nombreuses marques ont désormais des showrooms à Shanghai et à Pékin.» Audemars Piguet en a six en Chine, contre dix à Hongkong et à Macao.

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Autre changement, «les visiteurs chinois ont cessé d’offrir des montres comme cadeaux, dit Karson Choi. Ils les achètent désormais pour les porter eux-mêmes.» Cela profite aux marques les plus connues, comme Rolex, Cartier ou Audemars Piguet, dont les garde-temps sont perçus comme un investissement. «Ces trois marques se vendent exceptionnellement bien, poursuit-il. Nous sommes pratiquement en rupture de stock.»

Cela favorise aussi les montres un peu moins chères. «Le prix de vente moyen oscille désormais entre 50 000 et 100 000 HKD (6000 à 13 000 francs), contre 300 000 à 500 000 HKD (40 000 à 60 000 francs) avant la crise», note Harold Sun.

Offrir une expérience aux clients

Les horlogers qui s’en sortent le mieux sont ceux qui proposent une expérience à leurs clients. «En Asie, les gens veulent être pris en charge, plongés dans l’univers de la marque», fait remarquer Denis Martinet, dont la société Mad & Associates représente plusieurs marques horlogères suisses à Hongkong.

Audemars Piguet a su capitaliser sur cette envie. Sise au 21e étage d’une tour de verre au milieu du quartier des affaires de Hongkong, la maison AP ressemble à un appartement privé. Des canapés aux tons beiges entourent une table sur laquelle sont posés une théière et des tasses ainsi que des livres d’art. Une longue table en bois dressée pour accueillir des convives et un bar surmonté de bouteilles de liqueur complètent le décor.

Certains horlogers peu connus cartonnent en Chine

«Nous avons imaginé comment les fondateurs de notre marque, Jules Louis Audemars et Edward Auguste Piguet, auraient reçu leurs clients s’ils étaient encore en vie», relate David von Gunten, qui dirige la division chinoise du groupe. Dans cet espace feutré inauguré en février, les clients peuvent organiser un rendez-vous d’affaires, un déjeuner entre amis ou se reposer. L’un d’eux y a fêté son anniversaire en compagnie d’une dizaine d’amis, aux frais de la marque.

Plus surprenant, certains horlogers peu connus en Suisse, à l’image du soleurois Titoni ou du biennois Rado, cartonnent à Hongkong et en Chine. «Entre 70 et 80% de nos ventes sont réalisées dans cette région, explique Daniel Schluep, le CEO de Titoni, qui rappelle que la marque y est présente depuis soixante ans. Rado, dont les horloges ornent toutes les stations de métro de Hongkong, est arrivé dans l’Empire du Milieu dans les années 1980 déjà.

L'essor des ventes en ligne

Les marques qui ont investi les canaux de vente en ligne tirent également leur épingle du jeu. «La clientèle chinoise est surtout composée de jeunes entrepreneurs, dit Karson Choi. Ils ont l’habitude de faire leurs achats sur leur smartphone et veulent pouvoir acquérir des montres ainsi.» Plus discrète, cette méthode permet en outre d’éviter les limiers chargés de la campagne anti-corruption.

Titoni vend ses garde-temps sur TMall, le portail d’Alibaba. Audemars Piguet écoule les siens par l’entremise d’un magasin pop-up sur le réseau social WeChat. D’autres marques, comme TAG Heuer et Zenith, ont investi JD.com, un autre site d’e-commerce. Ce dernier offre un service de livraison avec des employés en livrée et gants blancs.