Faits diversProcès de Guerric : « Vous n’avez jamais eu l’ombre d’un élément matériel ou d’un témoignage permettant de relier directement Guerric Jehanno à la disparition d’Amandine Estrabaud »

Faits diversProcès de Guerric : « Vous n’avez jamais eu l’ombre d’un élément matériel ou d’un témoignage permettant de relier directement Guerric Jehanno à la disparition d’Amandine Estrabaud »

> APRÈS-MIDI

14h05 : Reprise des débats

On accueille une experte en police scientifique, qui a été chargée d’examiner divers éléments organiques. Rien de probant.

14h27 : Un ingénieur-expert en informatique. Cet expert a mis à nu les ordinateurs et la PS3 de Guerric Jehanno. Des sites pornographiques, des sites de rencontre, des jeux en cours, un facebook. Rien d’affriolant. Ce qu’on savait déjà : sous le pseudo de « Kirikou 81210», Guerric Jehanno jouait à un jeu en ligne quasiment tous les soirs, sauf le 18 juin, jour de la disparition d’Amandine Estrabaud. On ratiocine, s’enferre, patauge. Sans intérêt.

On a même vu l’avocat général s’inquiéter de constater que Guerric Jehanno avait consulté « le site de soutien à Amandine » : « en quoi est-ce accorder un soutien à Amandine que d’aller consulter le site ? », demande t-il. On l’a connu plus pertinent. Ainsi pendant près d’une heure. Sans intérêt.

15h24 : Arrivée du premier gendarme.

Nous l’appellerons FF. Long exposé des faits (45 mn). Le gendarme est méticuleux. Soit. Mais, on n’apprend rien que les débats n’ont déjà évoqué. On attend en vain, sinon une preuve, mais au moins un élément déterminant qui scellerait l’implication de Guerric Jehanno.

Au sortir de l’exposé du gendarme FF, on a la certitude que les gendarmes ont travaillé un suspect. Soit. Mais de suspect à coupable, il y a un seuil que l’enquête ne semble pas avoir franchi : « au terme de notre enquête, la mise en cause de M. Guerric Jehanno semble la plus probable ». Probable.

« Il avait un fourgon pouvant correspondre (…) il a un lien avec Amandine (…) il a des vêtements de chantier (…) il parle à ses codétenus ». Et de conclure :« tous ces éléments renforcent l’hypothèse de l’implication de Guerric Jehanno ».

L’hypothèse. Le gendarme FF est visiblement las. L’auditoire aussi. Hypothèse : il est probable que les débats vont s’envenimer.

16h20 : Suspension d’audience et 16h39 : Reprise de l’audience.

Le gendarme FF. revient à la barre. Une série de diapositives permet aux jurés de se rendre compte des lieux du drame. Photos de la maison, plan de Roquecourbe…

Trajets surlignés du parcours présumé d’Amandine entre Les Salvages (dernier endroit où elle a été vue) et l’arrêt de bus du centre de Roquecourbe où le chien truffier perd sa trace. On voit aussi une photo des ballerines et des boucles d’oreilles appartenant à Amandine Estrabaud, retrouvées dans le jardin. Les boucles d’oreilles ont le fermoir « déformé ». Aucune trace de sang n’y a été retrouvée.

Les ballerines étaient-elles celles que portait Amandine le jour de sa disparition ? Me. Cohen veut savoir. On ergote. On évoque des herbes couchées dans le jardin : passage ordinaire, ou signe d’une lutte ? « On ne peut pas être certain », dit le gendarme, « On parle d’hypothèses ».

Un verre sur le bar de la cuisine. Elle en aurait acheté 6 trois jours avant. Il en manquerait donc un. Question de Me. Debuisson : « Dans la maison, on a retrouvé le blouson qu’elle portait. Il y avait dedans le téléphone portable, le briquet et les cigarettes. Est-ce l’attitude de quelqu’un qui a choisi de disparaître ? ». L’enquêteur : « Je ne crois pas. D’autant qu’Amandine utilisait beaucoup son téléphone ».

17h39 : Une heure de débats. On en est encore à « l’exploration » de la maison. L’avocat général fait remarquer que les traces de lutte présumée, sont découvertes près d’un regard et d’un robinet extérieur : « Il y avait une fuite. Peut-on imaginer qu’Amandine ait demandé à un artisan d’y regarder de plus près ? ».« On ne peut pas l’exclure ».

Sur le verre « disparu » : « Peut-on penser qu’elle ait invité quelqu’un, lui ait offert à boire, et qu’il soit parti en emportant le verre pour effacer les traces ? ». « C’est possible ».

« Mais est-il possible aussi que ces verres, achetés d’occasion dans un vide grenier, n’étaient finalement que cinq ? », demande Me. Cohen. « C’est possible aussi ».

17h58 : On se transporte, via un croquis, dans Roquecourbe, à l’endroit présumé où seraient cachés les bijoux, puis à Lacrouzette où serait enterrée Amandine. Les croquis sont ceux qu’a réalisés Guerric Jehanno à ses compagnons de cellule avant qu’ils ne le dénoncent. Le président ouvre le bal des questions. Il commence avec la perquisition effectuée au domicile de la famille Jehanno. Les indications retrouvées sur le téléphone portable de Guerric Jehanno, n’ont rien donné. L’inspection de sa voiture pas davantage.

Le président veut savoir si des fouilles ont été entreprises sur la base des plans dessinés par Guerric Jehanno en prison : « oui, mais nous n’avons rien trouvé » (les gendarmes ont fait appel aux chiens, aux détecteurs de métaux. Ils ont creusé aussi… ). Ces recherches ont été engagées en juin 2016, c’est-à-dire trois ans après les faits : « c’était un peu tardif », reconnait l’enquêteur.

Faits diversProcès de Guerric : « Vous n’avez jamais eu l’ombre d’un élément matériel ou d’un témoignage permettant de relier directement Guerric Jehanno à la disparition d’Amandine Estrabaud »

On a aussi exploré les eaux de l’Agout... en juillet 2018.

18h18 : Le Président Noël Picco donne la parole à Me. Debuisson. Il s’étonne de noter que sur son croquis, Guerric Jehanno a donné l’altitude exacte de Lacrouzette. Pourquoi ? « A mon avis il doit y avoir un sens », estime le gendarme FF, qui poursuit : « …mais je n’ai pas compris lequel ».

18h25 : Parole à l’avocat général Bernard Lavigne. Il veut revenir sur le trajet supposément emprunté par Amandine depuis Les Salvages (où elle est vue pour la dernière fois) et l’arrêt de bus de Roquecourbe où le chien perd sa trace : « Le chien a été mobilisé 18 jours après la disparition ». « En 18 jours les odeurs peuvent se déplacer, nous a dit le maître-chien », précise le gendarme. « Donc, il faut en déduire qu’on ne connait pas exactement son trajet », dit l’avocat général. « Oui, c’est ça, on ne peut pas savoir exactement ».

18h35 : Sur le trajet présumé dessiné par les enquêteurs, les routes de Guerric et Amandine ne peuvent théoriquement pas se croiser. Sauf, si Guerric Jehanno qui avait, peut-être, un travail à faire dans le quartier Beausoleil, se rend dans ce quartier. Apparemment, ce chantier n’a jamais été fait le 18 juin. On ne sait même pas si l’accusé s’y est rendu.

L’avocat général trouve la parade : elle avait un copain dans le quartier Beausoleil, « on peut penser qu’elle a souhaité le voir, et auquel cas elle aurait fait un détour et elle aurait pu croiser Guerric », avance le magistrat. « On peut le penser », confirme le gendarme. Peut-on penser que le procès reste sur des conjectures ?

18h50 : La parole est toujours à l’avocat général. Il s’étonne : « on a parfois l’impression que Guerric Jehanno répond à des questions qui ne lui sont pas posées, et inversement ». « Oui, c’est déroutant, parfois ».

18h56 : Place à la défense de Guerric Jehanno. Me. Simon Cohen est le premier à se lever.

Après beaucoup de circonvolutions, il rappelle au gendarme l’article 14 du code de déontologie intitulé « impartialité ». Tensions. En fait, toute l’intervention de Me. Cohen tend à démontrer, sans pour autant froisser le gendarme, que leur garde à vue a été, selon lui, un peu pernicieuse. Le gendarme FF. se raidit : « vous essayez d’insinuer que notre enquête n’est pas propre, je vous demande d’arrêter et de ne pas glisser sur ce terrain ». Intervention du président. Éphémère retour au calme. A fleurets mouchetés toujours, d’autres échanges.

19h29 : Intervention de Me. Debuisson. « Je me lève pour jeter un peu de lumière dans le brouillard qui vient d’être dispersé ». Il poursuit : « Hier, des témoins sont venus dire qu’ils avaient été mis sous pression pour dire ou reconnaître tel ou tel détail. Qu’en pensez-vous ?» « Je m’inscris en faux, c’est presque insultant », répond l’enquêteur.

Me. Debuisson lit un PV dans lequel les gendarmes affirment leur conviction que Guerric Jehanno « a eu une intervention » dans la disparition d’Amandine Estrabaud.

19h36 – Intervention de Me. Pibouleau : « avez-vous un élément matériel qui incrimine directement Guerric Jehanno ? » « Non ». « Avez-vous un témoignage direct qui prouve la culpabilité de Guerric Jehanno ? ». « Non plus : c’est un ensemble d’impressions croisées qui nous conduisent à penser que c’est lui ».

Me Simon Cohen rebondit : « vous n’aviez aucune certitude en mars 2016, mais vous avez cadenassé l’enquête autour de Guerric Jehanno. A partir du moment où vous l’avez eu en garde à vue, je crains que vos suppositions ont fait le reste pour en faire le coupable que vous attendiez. Pouvez-vous dire quelle autre piste vous avez travaillée ? ».

« Que vous ayez eu des raisons de penser, vous l’avez admis, que vous ayez eu des hypothèses, vous l’avez confirmé. Mais vous n’avez jamais eu l’ombre de l’ombre, de l’ombre d’un élément matériel ou d’un témoignage permettant de relier directement Guerric Jehanno à la disparition d’Amandine Estrabaud ».

19h45 : Le Président interroge Guerric Jehanno : « que pensez-vous de cette déposition ? ». « J’ai rien fait, la preuve en est que les plans que j’ai fournis c’est pas les bons. Je voulais qu’on me laisse tranquille ». « Mais qui vous persécute ? », s’interroge Me Debuisson. « En prison, ils me harcelaient ». « Mais on ne vous a jamais forcé », insiste Me. Debuisson. « C’est ça, vous avez raison. De toute façon, quand je parle, c’est pas bien, quand je me tais c’est pas bien non plus. C’est toujours vous qui avez raison ».

19h50 : Fin de l’audience du jour.

> MATIN

9h07 : Arrivée de la Cour, ouverture des débats.

Pour commencer cette journée, audition très attendue d’Irma Jehanno, la maman de Guerric. Comme en première instance, Irma Jehanno passe sur le grill : c’est elle qui, la première, va voir les gendarmes, en mai 2014 : « J’étais inquiète. Guerric disait n’importe quoi. Licencié en décembre 2013, séparé de sa petite amie qui a rompu en mars : il déprime, il joue aux jeux sur écran toute la journée, il croit qu’il a le Sida. Il est suivi par un psychiatre et prend des médicaments ».

Ce n’est pas cela qui mettra la puce à l’oreille des gendarmes. Elle précise dans sa déclaration que « Guerric a dit à plusieurs reprises qu’il n’est pas un assassin. Quand on prend la voiture il se retourne par crainte d’être suivi. Il dit que si on retrouve un jour du sang dans sa voiture, ce sera le sang des truites ».

En outre, Guerric Jehanno, a signalé à sa mère qu’en allant à la pêche « près du gouffre », il a senti « une odeur putride de cadavre en décomposition ».De fait, Guerric sera convoqué quelques jours plus tard à la gendarmerie. La défense et l’avocat général lui font remarquer que la teneur de ses propos est un peu « ambigüe », et qu’il est normal que les enquêteurs s’y soient intéressés.

Irma Jehanno répète que, pour elle ces propos étaient purement inconséquents, dus au traitement médicamenteux auquel était soumis son fils. « Soit. Mais alors, il fallait aller voir le psychiatre, pas les gendarmes », lui fait remarquer l’avocat général.« Croyez-vous que si j’avais pensé que mon fils avait un lien avec cette affaire, je serais allée voir les gendarmes ? ».

10h : Enfin, il y a cet instant : soudain, Irma Jehanno se tourne vers la famille Estrabaud assise au premier rang. Elle s’adresse directement à la mère d’Amandine, Monique Sire : « Tu es une mère, j’en suis une. Je le connais par cœur, je sais comment il est et s’il avait fait quelque chose, je l’aurais senti. Les yeux dans les yeux, Monique, je te le dis : je sais que mon fils n’a rien fait à ta fille. Je te le jure. Je sais comment il fonctionne, et je peux en mettre ma tête à couper : si Amandine est morte, ce n’est pas lui qui a fait ça ».

A la question d’un avocat : « Je peux vous dire qu’il n’a pas la capacité à tenir un mensonge. S’il avait fait quelque chose, depuis cinq ans qu’il est en prison, il aurait craqué. D’abord c’est pas un menteur, ensuite il n’aurait pas pu inventer des trucs dans sa tête et s’y tenir. Il se serait trahi ».

Le Président lit à l’audience un SMS que Guerric Jehanno a adressé à son ex petite amie trois mois après leur séparation : il pensait qu’il lui avait « refilé » le Sida. « C’est bizarre, ne trouvez-vous pas », demande le président. « Oui. C’était dans sa tête. A l’époque il ne tournait pas rond ».

10h35 : Fin de l’audition d’Irma Jehanno.

On appelle Kevin G., un ancien « meilleur ami » de Guerric Jehanno. Les mains dans les poches de son blouson, Kevin parle de leur relation au passé. « Avant cette affaire, on était tout le temps ensemble. Quand on a eu des petites amies, c’était pareil, on passait nos soirées souvent à la maison, chez moi ».

Ce qui amène Kevin G. à la barre, c’est un témoignage chez les gendarmes en 2014. A cette époque, les enquêteurs s’intéressent à l’entourage de Guerric Jehanno. Kevin G. raconte « une soirée télé ». Le groupe de jeunes suivait « vachement », dit-il, le feuilleton « Plus belle la vie ». Le sujet de l’épisode ce soir-là, concernait un enlèvement : « Guerric a dit qu’il avait l’impression que cet épisode racontait son histoire ».

Spontanément, Kévin G. « ne fait pas le lien avec Amandine ». Je lui ai dit « je vois pas le rapport. Il m’a répondu : moi, oui ». « J’ai pensé qu’il débloquait complet », dira-t-il plus tard.

Ensuite il raconte que Guerric Jehanno avait aussi le sentiment d’être suivi : « il avait peur qu’on le soupçonne de la disparition d’Amandine ». « Il y a eu un truc étrange aussi. Avec ma compagne, on lui a proposé d’être le parrain de notre futur enfant. Il a refusé en nous disant : je ne serai pas là. Rétrospectivement, on a fait le lien ». « Avec quoi ? », demande l’avocat général. « Avec le risque d’aller en prison », répond le témoin.

On le devine, l’amitié a vécu. La parole est à Me. Cohen, pour la défense de Guerric Jehanno : « quand on témoigne devant une cour d’assisses, on enlève ses mains des poches ». Le ton est donné. L’avocat demande si « le côté bizarre » de l’accusé a été concomitant à sa séparation avec sa petite amie ? « Oui ».

L’avocat exhume un procès verbal de gendarmerie daté de juin 2014, l’avocat relève qu’à la question de savoir s’il pense que Guerric est capable d’avoir fait du mal à Amandine, Kévin G. répond « non ».

Pour la famille d’Amandine, Me. Debuisson (re)pose une question : « Après sa séparation d’avec sa petite amie, est-ce que Guerric cesse toute sortie ? ». « Non, on le voyait au café, on faisait des soirées », répond Kévin G.

« Pour un déprimé, il s’en sort plutôt bien », conclut l’avocat. Il n’en fallait pas davantage pour faire bondir Me. Cohen. Les deux avocats s’écharpent. « Au moins, les débats sont vivants et animés », se réjouit Me. Debuisson.

11h30 : suspension d’audience et 11h50 : Reprise de l’audience.

La Cour accueille Aurore B. C’est l’ancienne compagne de Kevin G. Elle dit qu’elle a passé de bons moments « avec Guerric, Kevin et Sophie (l’ex-petite amie de Guerric Ndla.) ». « C’était très sympa ».

Concernant l’accusé elle parle d’un jeune homme « timide, discret, pas vantard ». « Ca a changé après sa rupture avec Sophie (en mars 2014 Ndla), et ensuite après sa première convocation à la gendarmerie en mai 2014 : à partir de là, on ne l’a plus revu. Du jour au lendemain, ça a été tranchant ». « C’était une période au cours de laquelle il tenait des propos complètements incohérents ».

Elle dit qu’elle trouvait son comportement « bizarre ». La jeune fille travaille dans un établissement psychiatrique. Elle dit : « on aurait dit qu’il décompensait de quelque chose. Il avait un comportement paranoïaque ».

« Avec le recul, je pense qu’il essayait de nous dire des choses indirectement ». « Mais, il lâchait des trucs et, au final, il était mutique ». « Sur le moment, on ne pensait à rien, mais avec le recul, quand on rassemble les bribes, on se dit que, oui, il voulait nous faire passer un message ».

Sur question de Me. Debuisson, elle situe « le début de ses délires », à « un mois avant sa garde à vue (de mai 2014) ». L’avocat lui rappelle une audition au cours de laquelle elle avait témoigné de la versatilité de son comportement : « d’une seconde à l’autre, il passait de la joie à la tristesse, ou à la colère… je ne suis pas psychiatre, mais je pense qu’il était un peu bipolaire ».

Sur intervention de Me. Pibouleau : « Diriez-vous qu’il y a eu un changement de comportement après sa rupture avec Sophie ? ». « Oui, c’est très clair ». « Pensez-vous qu’il puisse être pour quelque chose dans la disparition d’Amandine ? » Aurore B. : « Quand je rassemble tous les petits élements, que je les mets bout à bout, oui, je pense que c’est possible ».

12h26 : Fin de l’audience du matin