Lancement de la première fusée post-soviétique

Lancement de la première fusée post-soviétique

La Russie vient d'écrire une nouvelle page de son histoire spatiale. Mercredi, à 14 heures, elle a fait décoller depuis la base militaire de Plessetsk, située dans le nord-ouest du pays, sa première fusée intégralement conçue après la chute de l'URSS. Tous les lanceurs mis au point ces vingt dernières années n'étaient en effet que des adaptations de modèles soviétiques.

Baptisé Angara 1.2 PP (pour Pervy Polyot, «premier vol» en russe), ce nouveau lanceur fait 42 mètres de haut et devrait être capable d'emporter une charge utile proche de 4 tonnes en orbite basse. Pour ce premier test, la fusée s'est contentée, comme prévu, d'un vol suborbital de 6 000 kilomètres et 21 minutes avant de s'écraser dans la péninsule désertique du Kamchatka.

Lancement très dicret

Ce lancement inaugural s'est fait en toute discrétion, sans retransmission en direct. Il faut dire que l'abandon de la précédente tentative fin juin, suivie en direct par Vladimir Poutine depuis le Kremlin, fut embarrassante. Le compte à rebours s'était arrêté automatiquement quelques minutes avant le décollage alors que la fusée était déjà sur son pas de tir (une chute de pression dans le réservoir d'oxygène serait à l'origine de ce délai, selon Energomash, le constructeur du moteur principal). Les Russes ont préféré éviter une nouvelle déconvenue de ce genre.

C‘est donc par un simple tweet du vice-premier ministre russe Dmitri Rogozine que la réussite de ce lancement historique a été annoncée. Un communiqué officiel de la société publique Khrounitchev, ayant mis au point la fusée, a rapidement confirmé la nouvelle avant que la chaîne de télévision d'État Ksetva n'en diffuse des images.

Un projet vieux de plus de vingt ans

Lancement de la première fusée post-soviétique

Ce premier tir d'essai marque la concrétisation d'un projet lancé il y a plus de vingt ans par l'ancien président Boris Eltsine pour réduire la dépendance spatiale de la Russie vis-à-vis des anciennes Républiques soviétiques comme l'Ukraine et le Kazakhstan. Encore aujourd'hui, les lanceurs légers et moyens Tsyklon et Zenit sont construits en Ukraine et la quasi-totalité des fusées russes décollent toujours du cosmodrome de Baïkonour au Kazakhstan.

La famille de lanceurs Angara doit mettre fin à cette situation. En deux décennies, le projet a beaucoup évolué. La version la plus légère, A1-1, d'une capacité de deux tonnes, a par exemple été abandonnée au profit d'une version légère de Soyouz (Soyouz 2-1V). La priorité a été mise sur des lanceurs de plus grosse capacité: A1-2 (3,8 tonnes), A3 (14,6 tonnes) et A5 (24,5 tonnes). Une cinquième version hypothétique, encore plus puissante, A7, pourrait également voir le jour en prévision de missions habitées dans le Système solaire (Lune, Mars).

Le remplacement du lanceur lourd Proton, qui a connu de nombreux déboires ces derniers mois, devient de plus en plus urgent. Outre son manque de fiabilité, c'est une fusée particulièrement polluante, notamment en cas d'accident. Elle utilise en effet des hypergols, c'est-à-dire des composés très toxiques qui se consument automatiquement lorsqu'ils sont mis en présence l'un de l'autre.

Kérosène et oxygène liquide

Les fusées Angara partagent, elles, un même premier étage beaucoup moins polluant, fonctionnant avec un mélange de kérosène et d'oxygène liquide. Hormis la version de base A1-2, toutes disposent de boosters supplémentaires fonctionnant sur le même principe.

La version A5 pourrait effectuer son premier vol d'essai en 2015, depuis Plessetsk. Un vol inaugural de sa version habitée, A5P, est programmé pour 2018 au cosmodrome de Vostochny, en cours de construction à l'est du pays. Plus puissante que les actuelles Soyouz, A5P devrait pouvoir emporter quatre à six cosmonautes d'un coup à bord de la Station spatiale internationale, contre trois actuellement.

Les experts de l'industrie pensent qu'il faudra encore près de dix ans avant que les fusées Angara ne soient viables sur le plan commercial. Une échéance qui n'est pas si lointaine dans le spatial.