Irak : le premier ministre échappe à une tentative d'assassinat au drone

Irak : le premier ministre échappe à une tentative d'assassinat au drone

Il est la cible, sinon à abattre, du moins à effrayer. Quelques heures après avoir été victime d'une tentative d'assassinat, le premier ministre irakien, Moustapha al-Kazemi, a présidé dimanche une réunion des responsables de la sécurité dans un climat de tensions exacerbées. Vers 1 heure du matin, trois drones avaient été lancés depuis un site proche du pont de la République, sur la rive orientale du Tigre, avant de se diriger vers la zone verte, sur l'autre rive du fleuve où se trouve sa résidence.

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Deux ont été abattus en vol par sa garde rapprochée mais le troisième, piégé, a pu faire exploser sa charge contre la maison d'al-Kazemi, blessant au moins trois de ses gardes du corps. Indemne, le premier ministre est apparu dans une vidéo une heure après, assis à son bureau en chemise, appelant au « calme et à la retenue pour le bien de l'Irak », tout en dénonçant « les lâches drones et les lâches roquettes (qui) ne construisent pas un pays, ni un avenir ». «Il m'a paru en forme», a confié au Figaro un de ses proches qui lui a rendu visite dimanche après-midi.

Déroute électorale

C'est la première et la plus grave attaque dont il est victime depuis sa nomination au poste de premier ministre, en mai 2020. Elle intervient dans un contexte très tendu, un mois après les élections législatives qui ont vu les candidats soutenant des milices chiites pro-Iran subir une cuisante défaite. Celles-là même dont Moustapha al-Kazemi cherche à réduire l'influence politique, militaire et économique, sans toutefois pouvoir les affronter directement, faute de moyens. L'attentat pourrait être lié aux tractations en coulisses pour désigner le prochain premier ministre.

Al-Kazemi n'est pas sûr du tout d'être reconduit, la majorité des chefs politiques chiites y étant opposés. « Les perdants des élections, qui considèrent qu'ils livrent une guerre existentielle, sont prêts à jouer le tout pour le tout », décrypte depuis Bagdad, pour Le Figaro un expert proche du premier ministre. « On ne sait pas encore qui est derrière cette attaque non revendiquée, ajoute-t-il, mais beaucoup de déclarations l'ont, récemment, directement visé. Et il y a eu quelques morts dans les manifestations de vendredi organisés par les perdants des élections, donc ils sont agressifs. »

«Escalade attendue»

Quelques heures avant l'attaque, Qaïs al-Khazali, chef de l'une des plus puissantes milices, Assaïb al-Haq, avait haussé le ton contre al-Kazemi dans une vidéo. Depuis vendredi, des partisans des factions pro-Iran tiennent un sit-in à deux entrées de la zone verte. Vendredi, ils auraient cherché, selon certaines sources, à y pénétrer. Mais l'armée, apparemment sans l'aval du premier ministre, a tiré sur les manifestants, en tuant au moins deux. « Les choses ne se sont pas passées comme les manifestants violents et prêts à en découdre l'espéraient, ajoute l'expert irakien. Ils pensaient que l'armée se débanderait. Or, ce n'est pas le cas. Elle n'est pas une armée à leur solde, elle tient. »

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Déjà en mai, des miliciens armés de lance-roquettes s'étaient approchés à cent mètres seulement du bureau d'al-Kazemi. Un premier avertissement suivi de nombreuses attaques contre des cibles américaines sur les rares bases où restent stationnés des soldats venus d'outre- Atlantique.

Sans parti politique ni groupe parlementaire, al-Kazemi a réussi à être apprécié des pays du Golfe, des États-Unis et de la France, sans tomber pour autant dans le collimateur de l'Iran voisin, parrain de certaines de ces milices qu'il combat. Tous ont d'ailleurs condamné le tir de drone qui l'a visé. « L'escalade était attendue », ajoute l'expert qui vit dans la zone verte, où des renforts militaires sont arrivés en nombre.

Appel au calme

La bataille est disproportionnée, comme en témoignent les très rares portraits du premier ministre face à des dizaines d'affiches montrant le général iranien Qassem Soleimani et son adjoint irakien Abou Mahdi al-Mohandes, les tuteurs des miliciens anti-Kazemi, qui furent assassinés en janvier 2020 près de l'aéroport sur ordre de Donald Trump. Mais leur défaite au dernier scrutin législatif – dont ils contestent les résultats – les a indéniablement affaiblis.

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« La situation peut déraper encore plus », prévient l'expert, qui redoute « le scénario du pire » : des milliers de miliciens pénétrant de force dans la zone verte, où certains occupent déjà – légalement – des positions. « Il s'agirait d'un putsch militaro-terroriste pour renverser un gouvernement reconnu internationalement. S'ils choisissent cette option, ils auront face à eux l'autorité légitime et les alliés internationaux de l'Irak. Ils en sont conscients. Mais les miliciens sont très divisés, ils n'obéissent pas au même chef, certains sont aux ordres, mais d'autres pas, et face à la perte d'une partie importante de leur pouvoir, certains peuvent déraper. »

L'ONU condamne l'attaque

Le Conseil de sécurité de l'ONU a condamné lundi 8 novembre «le plus fermement possible» la «tentative d'assassinat» à laquelle a échappé dimanche le premier ministre irakien Moustafa al-Kazimi, dont la résidence a été visée par une attaque au drone piégé.

Dans une déclaration commune, les quinze pays membres du Conseil «soulignent la nécessité que les auteurs, organisateurs, financiers et soutiens de ces actes de terrorisme répréhensibles rendent des comptes et soient traduits en justice». Ils «exhortent tous les États» à «coopérer activement avec le gouvernement d'Irak» à cet égard.

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Le Conseil de sécurité des Nations unies réaffirme enfin son soutien à «l'indépendance, la souveraineté, l'unité, l'intégrité territoriale, le processus démocratique et la prospérité de l'Irak». Le premier ministre irakien est sorti indemne dimanche de cette attaque qui n'a pas été revendiquée, dans un contexte d'accentuation des tensions nées après les élections législatives il y a un mois.

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