«Faire porter le masque aux enfants est un choix politique et non scientifique»

«Faire porter le masque aux enfants est un choix politique et non scientifique»

Samuel Fitoussi est étudiant, fondateur et écrivain du blog satirique La Gazette de l'Étudiant.


Il y a quelque chose d'étrange, de malsain et de quelque peu immoral à voir les boîtes de nuit ouvertes mais les enfants de six ans masqués toute la journée à l'école et soumis à de strictes règles de distanciation. Tandis que le taux d'incidence augmente et que se multiplient les appels à durcir les mesures l'école, proposons au contraire de cesser de sacrifier les enfants.

Notons d'abord que si le protocole sanitaire à l'école est présenté par ses promoteurs comme un choix scientifique, il relève en réalité de l'arbitrage moral. La science ne peut porter de jugement de valeur sur la façon dont nous devons peser les bénéfices du masque à l'école (limitation de la circulation virale) par rapport à ses coûts (perte de bien-être pour 13 millions d'enfants). Malheureusement, nombreux sont ceux qui déguisent leur arbitrage moral en vérité scientifique - attitude nuisible au débat démocratique puisqu'elle implique que l'opposition aux mesures sanitaires est toujours nourrie par le rejet de la science.

Rappelons que tout n'est pas bon pour sauver des vies. Plusieurs milliers de Français meurent sur la route chaque année, chiffre que nous pourrions considérablement réduire en divisant par deux toutes les limites de vitesse. Mesure que personne ne propose, puisque nous jugeons que ses bénéfices seraient inférieurs à ses coûts sociaux. De même, nous tolérons chaque hiver des dizaines de décès quotidiens de la grippe car nous considérons qu'ils sont collectivement moins dommageables que les restrictions qu'il faudrait mettre en place pour les éviter.

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C'est à la lumière de cette réalité qu'il faut évaluer le bien-fondé du protocole sanitaire. Pour l'instant, ceux qui plaident pour son maintien semblent le faire indépendamment de toute considération coût-bénéfice, ses bénéfices sanitaires n'étant quasiment jamais quantifiés et jamais mis en balance avec ses coûts. À partir de combien de vies sauvées par an devient-il acceptable de faire porter à 13 millions d'enfants un masque toute la journée ? Il n'est pas illégitime de considérer qu'une année de scolarité normale pour toute une génération vaut 15.000 morts supplémentaires. Face à un virus voué à devenir endémique, c'est un débat démocratique qu'il est important d'avoir et que les médecins - non-élus et parfois sujets à des conflits d'intérêts (leur charge de travail étant affectée par le nombre d'entrées à l'hôpital) - n'ont pas à trancher seuls.

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Le risque du Covid pour les enfants est extrêmement faible. Si la balance coût-bénéfice de la vaccination des moins de 12 ans fait débat, ce n'est pas parce que le vaccin est dangereux mais parce que le virus l'est peut-être encore moins. Selon le dernier rapport de Santé Publique France, on recensait au 31 octobre 2021 douze décès de mineurs imputables au Covid depuis le début de la pandémie. Seuls trois de ces enfants ne présentaient pas de comorbidités. À titre de comparaison, 90 enfants meurent chaque année de diverses maladies infectieuses et parasitaires (grippe, gastro-entérite, bronchiolite, angine…) ; maladies pour lesquelles personne n'a jamais appelé à «sécuriser les écoles», sans doute parce qu'elles sont peu dangereuses pour les adultes.

Quant au danger du Covid long, notons que la bronchiolite, la gastro et la varicelle laissent elles aussi des séquelles qui n'émeuvent personne, et qu'il est amusant que ceux qui se prétendent affreusement préoccupés par la santé des enfants n'aient pas la moindre pensée pour les conséquences éducatives et psychologiques à long terme des restrictions que nous leur imposons.

Pour éviter de reconnaître que l'on masque les enfants pour protéger les adultes, toutes les contre-vérités sont autorisées. On affirmera à l'apparition de chaque nouveau variant - sur la base de simples témoignages et sans aucune étude statistique pour l'étayer - qu'il touche davantage les jeunes. Nous n'avons d'ailleurs aucune nouvelle de l'hécatombe que le variant Delta devait provoquer chez les enfants.

La semaine dernière, sur le plateau de l'émission C à Vous (France 5), Gilbert Deray - chef du service de néphrologie de la Pitié-Salpêtrière - a affirmé que «les IRM cérébrales d'enfants qui ont le Covid ressemblent à de l'Alzheimer». Fantaisie totale - réfutée depuis par de nombreux médecins - accueillie avec gravité sur le plateau, notamment par Patrick Cohen, pourtant si prompt à dénoncer (à raison) le manque de rigueur scientifique de Didier Raoult.

Dans le camp de La Science, les nobles mensonges - c'est-à-dire ceux qui incitent au respect des gestes barrières - semblent acceptables. Ces approximations posent néanmoins un gros problème démocratique : le rôle des scientifiques et des médias est d'informer le mieux possible car seule une appréciation précise des risques encourus par chacun peut permettre d'atteindre l'arbitrage social collectivement optimal. Certains scientifiques ont adopté une démarche politique, exagérant volontairement certains risques et taisant certaines vérités (le concept d'immunité naturelle post-infection est devenu curieusement polémique) afin de pousser à l'arbitrage qu'ils jugent subjectivement optimal.

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Cela fait donc deux ans que nous imposons aux enfants de se sacrifier pour un virus contre lequel ils ne sont pas à risque. Aujourd'hui, pouvons-nous continuer à leur infliger des contraintes pour réduire le risque d'adultes qui choisissent de ne pas se vacciner ou qui souhaitent pour eux le risque zéro ? Et tant que le risque de saturation des hôpitaux n'est qu'hypothétique, la réduction de l'affluence hospitalière peut-elle être un objectif collectif légitime ? Les hôpitaux doivent être au service des Français et non les Français - et encore moins les enfants - au service des hôpitaux. Après deux ans de pandémie, l'égoïste n'est peut-être plus l'adolescent qui enlève son masque mais l'adulte qui veut continuer à le lui imposer.

Pourrir la scolarité des enfants semble être devenu une façon pour le gouvernement de ne pas trop importuner les adultes et en même temps, de satisfaire les restrictionnistes. Le Royaume-Uni prouve que la démagogie n'est pas la seule solution et qu'il existe une autre voie : le bien-être des enfants comme priorité de politique publique. Là-bas, les enfants peuvent revoir le visage de leurs professeurs, déjeuner avec qui ils veulent, enlacer leurs amis, faire du sport dans des conditions normales et partir à l'école sans le sentiment culpabilisateur d'être des agents infectieux nuisibles au bien-être collectif. Tandis que la France choisit de se montrer intransigeante avec les enfants de six ans, le Royaume-Uni choisit de ne pas les exposer à des risques de perturbations neurologiques, sociales et émotionnelles à long terme.