Découverte du pèlerinage gitan aux Saintes-Maries-de-la-Mer

Découverte du pèlerinage gitan aux Saintes-Maries-de-la-Mer

Nous partons aujourd’hui aux Saintes-Maries-de-la-Mer pour découvrir une culture encore méconnue de certains : la culture gitane.

En janvier 2019, la capitale de la Camargue, Saintes-Maries-de-la-Mer, rejoint le cercle fermé des “Villes sanctuaires de France”. Un titre honorifique qui souligne la richesse religieuse et culturelle d’une ville, et dont pouvaient déjà se vanter Lourdes, Ars ou encore le Mont-Saint-Michel.

Mais aux Saintes-Maries, c’est un patrimoine spirituel bien particulier que l’on célèbre : celui des gens du voyage et de leur sainte patronne : Sara la Noire. Avez-vous peut-être déjà vu des images de la procession, où la statue de Sara la Noire, emmitouflée dans une robe opulente, est emmenée de l’église des Saintes-Maries pour être immergée dans la mer ?

C’est le clou d’un spectacle qui se déroule sur deux jours, les 24 et 25 mai. Pendant ces festivités les pèlerins gitans passent du temps avec Sara la Noire, comme ils rendent visite à un membre de leur famille. Par ailleurs, si le pèlerinage est naturellement associé à la culture gitane, il concerne tous les peuples des gens du voyage : roms, bohémiens, yéniches, ou encore manouches.

Nous vous emmenons en voyage à la découverte d’un pèlerinage unique et festif aux Saintes-Maries-de-la-Mer, pour mieux comprendre cet événement qui rassemble des milliers de personnes chaque année !

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Un petit tour des Saintes-Maries-de-la-Mer

Crédit photo : Shutterstock – kavram

Avant d’aborder le thème du spirituel, nous allons nous familiariser avec la jolie commune des Saintes-Maries-de-la-Mer, située à l’embouchure du Petit-Rhône. Là-bas, ce sont 2 500 âmes qui vivent à temps plein dans ce village camarguais pittoresque, isolé, guère plus grand qu’un village de pêcheur.

La commune se trouve à proximité du Parc naturel de la Camargue, où flânent les flamants roses qui font la renommée de la région. Aussi, les Saintes-Maries sont proches d’Arles, ville de culture célèbre pour son festival annuel de photographie.

Parc régional de Camargue –Crédit photo : Shutterstock – Uhryn Larysa &pixelshop

D’ailleurs, la route d’Arles aux Saintes-Maries, d’une durée d’environ 30-40 minutes, est connue pour sa beauté : elle traverse des rizières, quelques marécages, mais aussi des parcs d’élevage de taureaux et des centres équestres. La route passe également par le musée camarguais et le château d’Avignon : deux établissements qui permettent de mieux comprendre la culture locale et la richesse patrimoniale de la Camargue.

Les Saintes-Maries-de-la-Mer sont donc une station balnéaire ensoleillée et discrète, où les touristes apprécient arpenter le vieux village aux rues pavées et aux maisons blanches. Car c’est tout le charme de la Provence et de la Camargue qui fait de cet endroit un spot de vacances idéal pour la saison estivale. Aux Saintes-Maries, inutile de s’embêter avec un véhicule : laissez vos jambes vous guider jusqu’au front de mer, puis optez pour un cheval pour profiter du littoral.

Vous avez donc compris : Saintes-Maries-de-la-Mer est un petit village touristique du Sud de la France. Pourtant, dans certaines communautés des gens du voyage, comme les gitans, les tziganes, ou encore les roms, les Saintes-Maries sont bien plus qu’une station balnéaire où il fait bon vivre : c’est un lieu sacré, la dernière demeure de Sara la Noire dont nous allons vous conter le récit un peu plus tard…

Les Trois Maries, saintes voyageuses de Palestine

Nous vous avons présenté les Saintes-Maries-de-la-Mer en omettant volontairement de parler de son église : car c’est là que notre histoire commence vraiment.

Église Saintes-Maries-de-la-Mer –Crédit photo : Shutterstock – Joaquin Ossorio Castillo &Wikipédia – Armin Kübelbeck

Découverte du pèlerinage gitan aux Saintes-Maries-de-la-Mer

Le sanctuaire des Saintes-Maries, également connu sous le nom de l’église Notre-Dame-de-la-Mer, se trouve en plein cœur du village. Construit au IXe siècle (entre 1165 et 1170 plus précisément), l’édifice a d’abord servi de forteresse contre les différentes invasions au Moyen-Âge. L’église possède en effet un donjon, et une façade qui rappelle celle des châteaux forts. Son style, autrefois roman, puis adapté à la tendance gothique, fait également écho au palais des papes d’Avignon situé dans la région.

Si vous visitez l’église, vous pourrez parcourir ses trois parties : la nef, la chapelle et le chœur. Faites un tour sur le toit, où la vue sur la Méditerranée est hypnotisante.

Ce qui rend ce sanctuaire unique reste la présence de reliques sacrées : celles de deux des Trois Maries, Marie-Jacobé et Marie-Salomé. La troisième, Marie-Madeleine, épouse du Christ dans certains textes sacrés, se serait quant à elle déplacée dans différents endroits de Provence.

Ses reliques ne sont donc pas dans le sanctuaire. En revanche, une troisième figure sacrée s’ajoute à Marie-Jacobé et Marie-Salomé : celle de Sara la Noire, une sainte à la peau noire originaire de Haute-Égypte.

Crédit photo : Wikipédia – G.Garitan & Shutterstock – Tobik

Les histoires des Trois Maries et de Sara varient selon les légendes et les évangiles. Chaque récit fait résonner des sons de cloche venus à la fois des traditions provençales et des livres sacrés. L’histoire la plus populaire raconte que les Maries seraient venues de Palestine en barque avec un groupe de chrétiens et auraient échoué en Camargues, où Sara la Noire les auraient accueillies, puis serait devenue leur servante.

Dans une des versions de l’évangile, les Trois Maries auraient été des disciples de Jésus qui s’exilent en Camargue après une menace des Romains. Par ailleurs, une autre légende raconte que les Trois Maries pourraient également représenter les trois filles que la grand-mère de Jésus, Sainte-Anne, auraient eu. Ces dernières auraient embaumé le corps du Christ après sa crucifixion.

Les Trois Maries n’échappent pas non plus au domaine de l’astronomie puisque dans certains pays, la constellation “Ceinture d’Orion” porte le nom des “Tres Marias”, leur rendant hommage.

Dans tous les cas, le mystère autour de leur vie, de leur rôle dans la religion catholique, et de leur entrée dans le patrimoine de ce petit village camarguais reste donc entier…

Les premiers pèlerinages

C’est finalement au Moyen-Âge que le pontificat d’Avignon désigne les Saintes-Maries-de-la-Mer de lieu sacré pour les pèlerinages. En effet, dès 1448, le roi René apprend que les reliques des Saintes-Marie se trouvent encore sur la côte camarguaise, non loin de la ville d’Arles.

Statue du Roi René –Crédit photo : Shutterstock – Eleni Mavrandoni

Il ordonne des fouilles avec l’espoir de découvrir les fameuses reliques : ce serait un “sacre”, mais aussi une opportunité lucrative de faire de ce petit hameau côtier un lieu de pèlerinage. Les reliques sont finalement découvertes à l’endroit même où se trouve actuellement la crypte. Par ailleurs, au cours de leur recherche, les ouvriers de l’époque rapportent avoir trouvé une tête humaine, des ossements et quelques poteries.

Après la découverte, les reliques des Saintes-Maries sont installées dans des stèles, au cœur de l’église. Les ossements auraient été placés dans un reliquaire pour les deux Maries, et dans une simple boîte pour Sara. À ce moment-là, il est finalement décidé que l’on célèbrera Marie-Jacobé le 25 mai, Marie-Salomé le 22 octobre, puis les deux Saintes sans distinction le 3 décembre.

Les Saintes-Maries étant situées sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle, les pèlerins affluent en masse dès la fin du Moyen-Âge pour prier. Cependant, la Révolution française, puis les grandes maladies et l’extrême misère stoppent les pèlerinages. La spiritualité du lieu est finalement délaissée au profit du tourisme balnéaire.

Saint-Jacques de Compostelle – Crédit photo : Shutterstock – Sergey Golotvin

Les pèlerinages reprennent petit à petit au XIXe siècle avec l’ajout d’une nouvelle date de célébration religieuse : celle du 24 mai. Il est en effet décidé qu’à cette date, Sara la Noire, la servante des Maries, sera finalement célébrée. Son culte commence donc dans les années 1800 et marque en même temps l’arrivée des gens du voyages aux Saintes-Maries-de-la-Mer.

Le culte des gens du voyage bouscule les traditions

Pour les gens du voyage, dont les racines remontent en Inde aux alentours du Xe siècle, Sara la Noire serait la déesse indienne de la vie et de la mort : Kâli. Sara la Noire, ou Sara la Kâli serait finalement sa forme christianisée. Si Kâli est célébrée dans certaines communautés en Inde, les origines du culte de Sara la Noire pour les gitans restent floues.

Crédit photo : Wikipédia –Gautier Poupeau & Shutterstock – Roy Poloi

Revenons aux Saintes-Maries, pour comprendre comment la commune est devenue un lieu de pèlerinage pour les gens du voyage, au-delà même des frontières nationales. Les gitans, tsiganes, yéniches, manouches, bohémiens ou roms sont des peuples et communautés internationales, surtout présents en Europe depuis le XVe siècle. Ils se caractérisent par leur itinérance, mais aussi par leur folklore et leurs croyances.

S’ils prient “différemment” des catholiques de l’époque, c’est bien cette religion qui les anime et qui les mènera aux Saintes-Maries-de-la-Mer dès la fin du XIXe siècle.

Ainsi, dès le XIXe siècle les premiers pèlerins gitans arrivent de toute l’Europe pour célébrer leur sainte patronne, Sara la Noire, dont la statue de plâtre est exposée sur l’autel de l’église des Saintes-Maries. Leur arrivée n’est toutefois pas bien vue des locaux, ni des autres pèlerins d’ailleurs. Tous remarquent que ces “drôles de croyants” dorment dans l’église la nuit, un acte jugé alors blasphématoire.

D’un côté, on s’inquiète de leur « mode de vie » et de leur « aspect déroutant », pour reprendre les témoignages de l’époque. D’autres voient d’un mauvais œil la dévotion exubérante de ces pèlerins qui embrassent Sara, pleurent, chantent des cantiques, entrent en transe. En somme, d’après le curé de l’époque, « ils en font trop » pour être de vrais catholiques.

Par ailleurs, la plupart des croyants estiment que Sara la Noire ne doit pas être reconnue comme une égale des Saintes-Maries, puisqu’elle n’est finalement que leur servante. En dehors de la communauté des gens du voyage, la dévotion envers Sara est globalement mal comprise.

Des années 1850 aux années 1950, plusieurs lois tentent d’interdire la présence des gitans aux Saintes-Maries. C’est finalement grâce à l’intervention d’un marquis camarguais, Baroncelli, fervent défenseur des gitans, qu’ils sont acceptés. Baroncelli estime en effet que ce pèlerinage unique a le pouvoir à lui seul de dynamiser le tourisme aux Saintes-Maries. Comme le roi René à une autre époque, Baroncelli voit en cette manifestation une opportunité de dynamisme aux Saintes-Maries et s’engage donc pour que le culte de Sara la Noire soit reconnu comme tel au milieu des cultes traditionnels catholiques provençaux.

En résulte un combat gagné pour les gitans, puisque la procession de Sara la Noire jusqu’à la mer devient un événement officiel autorisé le 24 mai 1935.

Spiritualité, procession sacrée et festivités

Depuis ces mille et une péripéties, le pèlerinage des gitans aux Saintes-Maries-de-la-Mer est un événement annuel qui rassemble entre dix mille à quinze mille gitans venus de l’Europe entière, comme leurs aïeux avant eux. Les pèlerins, de tous âges et de toutes générations, se rendent alors dans l’église, bougies à la main, en chantant, en priant.

Sara les attend sagement les 24 et 25 mai de chaque année, assise au frais dans sa crypte. Elle attend d’être vénérée et d’être portée jusqu’à la mer, son bain d’eau et de foule annuel, sa procession sacrée. Le Graal pour chaque pèlerin : toucher la parure de Sara en faisant un vœu.

Crédit photo : Shutterstock – visibile snc & matteo fabbri

Les 24 et 25 mai, les musiques manouches et les sonorités du flamenco rythment la vie aux Saintes-Maries-de-la-Mer. L’événement est aussi un festival de couleurs : les hommes se vêtissent d’habits traditionnels, avec des chaînes d’or autour du cou et autres bijoux clinquants. Les femmes, quant à elles, portent des robes élégantes et colorées, avec un chapeau ou des fleurs dans les cheveux.

Le pèlerinage est l’occasion de célébrer la sainte patronne, oui, mais aussi de donner un coup de projecteur sur les différentes facettes des cultures gitanes, manouches, tsiganes ou encore roms, qui sont souvent associées à des préjugés et victimes de discrimination. La mise en scène expressive et enivrante côtoie le spontané des prières, des éclats de joie et d’émotion.

Crédit photo : Shutterstock – Heather A Phillips & matteo fabbri

Aussi, l’artisanat des gens du voyage est mis en valeur pendant la manifestation. Les vendeurs ambulants proposent des couteaux, meubles, couvertures, des bijoux à l’effigie de Sara, ornés de croix catholiques ou de guitares miniatures accrochées à des chaînes en or. Certains objets plus insolites retiennent l’attention comme des marmites géantes qui symbolisent la cuisine conviviale et partagée, des sabots pour la vie en caravane, ou encore les joggings féminins, un “incontournable des voyageuses” d’après l’une des vendeuses.

“Quand on est venu une fois, on a toujours envie de revenir” partage une pèlerine. Et nous voulons bien la croire. Religieux ou non, rendre visite aux Saintes-Maries-de-la-Mer pendant le pèlerinage gitan représente l’opportunité de découvrir la culture des gens du voyage et d’explorer un patrimoine spirituel qui a traversé les âges.

C’est aussi l’occasion de rencontrer Sara la Noire, fédératrice, déesse pour certains, sainte pour d’autres. N’hésitez pas à lui chuchoter votre vœu le plus cher dans l’oreille en effleurant sa robe, vous aurez peut-être quelques surprises…