Crédit Municipal : quand "ma tante" sauve la situation

Crédit Municipal : quand "ma tante" sauve la situation

« Quand je vois arriver pour estimation l’alliance, la bague de fiançailles et les médailles de baptême des enfants, c’est toute une vie déposée là, au comptoir. Un pincement au cœur à chaque fois. » Le temps n’a pas émoussé la capacité d’émerveillement d’Agnès Bieder face aux trésors qui passent entre ses mains, et encore moins son empathie quand elle devine les difficultés qui conduisent un client à « gager » ses bijoux les plus sentimentaux. La commissaire-priseur exerce depuis plus de vingt ans au Crédit municipal de Paris (CMP), 55, rue des Francs-Bourgeois. Toujours habitée par la passion du métier. Dans un environnement plein de mystères, avec son vocabulaire propre et ses codes particuliers, elle a la volonté de rendre service.Crédit Municipal : quand Crédit Municipal : quand

L’institution financière publique créée en 1637 par Théophraste Renaudot, d’après les monts-de-piété italiens, devait contrer le pouvoir exorbitant des usuriers, qui mènent alors à la ruine les plus démunis à coups de taux de crédit assassins. Quasi quatre siècles plus tard, le principe reste inchangé : prêter à tout un chacun, contre le dépôt d’un objet de valeur – neuf fois sur dix un bijou –, une somme d’argent, immédiatement disponible. Entre le contrôle des pièces d’identité, l’expertise et le passage au guichet pour récupérer ses deniers, il s’écoule environ deux heures. Essentiel à savoir : on reste propriétaire de ce que l’on « gage ». L’éventail des transactions est large : à partir de 30 euros pour un vélo B’Twin de Decathlon jusqu’à plusieurs milliers, voire 5 millions d’euros, prêt maximum, quand il s’agit de chefs-d’œuvre, toiles de maître, joyaux, objets historiques, pièces archéologiques… Dans ces rares cas, on ne ressort pas avec des sacs de billets. Il faut en passer par des expertises pointues et un comité des crédits doit statuer. Pas question de blanchir des œuvres volées ou des contrefaçons, comme ce faux Monet détecté à temps.

« Nous gageons tout ce qui a de la valeur, sauf ce qui se démode, par exemple l’électronique. Nous acceptons désormais la maroquinerie de luxe, chose impensable il y a vingt ans. Il faut coller à l’époque. Mais notre modèle économique est toujours basé sur l’or. C’est ici que j’ai vu mon premier lingot ! » Frédéric Mauget, directeur général du CMP depuis 2016, nous reçoit sous les lambris de la salle du conseil. Au mur, un grand portrait du prince de Joinville, fils de Louis-Philippe, assiste à toutes les réunions. Le Crédit municipal de Paris doit son sobriquet « chez ma tante » à cet aristocrate bambocheur et joueur compulsif. Il aurait servi l’excuse d’un oubli chez sa tante Adélaïde pour cacher avoir gagé sa montre en or au mont-de-piété. Frédéric Mauget, haut fonctionnaire passé par les cabinets de Delanoë et Hidalgo à la Mairie de Paris, a des étoiles dans les yeux quand il évoque sa prise de fonction : « Je suis tombé amoureux de “ma tante”. J’éprouve de la tendresse pour cette institution. Ce mélange de modernité et d’histoire m’a tout de suite plu. Je pourrais dire comme de la Samaritaine : “Il s’y passe toujours quelque chose” ! »

Difficile en effet de s’ennuyer à la tête de cet établissement de crédit à vocation sociale, orienté vers la finance solidaire et le mécénat culturel. Dans cet ensemble d’immeubles du Marais percé de cinq cours intérieures, occupant un vaste périmètre entre la rue des Francs-Bourgeois et la rue des Blancs-Manteaux, les activités sont multiples, l’animation est permanente : prêt sur gage (sa raison d’être), salle des ventes (pour écouler les objets non réclamés) et, plus récemment, accompagnement budgétaire des surendettés, microcrédit et même conservation d’œuvres d’art pour les collectionneurs et les galeristes. Et bien sûr le stockage, dans des magasins sécurisés et chambres fortes, de plus de 1 350 000 objets « gagés ». Pour se déplacer dans ce labyrinthe d’immeubles de styles et d’époques divers, les procédures appliquées sont identiques à celles d’une banque : badges à accès contrôlés et un bodyguard qui nous escorte sans jamais nous quitter des yeux.

De 70 à 80 % des clients sont déçus par l’estimation

Au cœur du beau Paris historique, six jours sur sept, un va-et-vient incessant anime le 55. La porte cochère et son agent de sécurité filtrent de 9 heures à 17 heures les habitués, les grandes gueules, les timides, le pas hésitant, les contrits, serrant fébrilement leur sac contre eux. Les gens vont souvent par deux, bras dessus, bras dessous, pour se soutenir, s’encourager. Bourgeois, prolos, étudiants, toutes les classes sociales et les nationalités se mêlent dans la cour principale. Et tous les sentiments s’expriment : stress, soulagement, espoir, désillusion… En franchissant le seuil, chacun est persuadé de détenir un trésor et certains repartent Gros-Jean comme devant, n’ayant que leurs yeux pour pleurer. La bague, c’était du toc, la montre Rolex, une copie… Sur les vieux pavés se jouent à ciel ouvert des psychodrames, lourds de silence, de soupirs. De 70 à 80 % des clients sont déçus par l’estimation, basée sur des critères objectifs : le cours des métaux précieux, les adjudications récentes. La valeur sentimentale n’est pas cotée en Bourse… Agnès Bieder résume ainsi la mission : « Nous sommes là pour dépanner, bien sûr, mais nous engageons notre responsabilité. Nous sommes en permanence tiraillés entre ces deux injonctions : aider au mieux sans prendre de risque financier. » Car, si l’objet n’est pas réclamé et qu’il ne trouve pas preneur aux enchères, la société des commissaires-priseurs devra rembourser le Crédit municipal du montant du prêt accordé.

Crédit Municipal : quand

On vient ici en dernier recours, grâce au bouche-à-oreille, pour couvrir une dette, un achat compulsif, discrètement, à l’insu de son conjoint, du fisc, de sa banque. Souvent parce que le prêt sur gage fait partie de sa culture d’origine. Les Sri Lankais constituent 10 % de la clientèle, les Maliens et les Nord-Africains sont nombreux aussi. Dans ces pays, les parures d’or offertes en dot représentent pour les femmes un moyen de s’émanciper : passer son permis de conduire, reprendre sa liberté. Jusqu’à 3 000 euros, la somme peut être versée en liquide. Passent sous nos yeux en quelques minutes un spectaculaire ensemble de bijoux asiatiques en or, un manteau de fourrure, un plateau en argent, un lot de bouteilles de vin de Bourgogne. Si on n’accepte plus les matelas ni les voitures, instruments de musique, statues vaudoues et même un bâton de maréchal d’Empire arrivé récemment dorment dans les réserves dont l’inventaire ferait pâlir n’importe quel musée. Toute l’histoire de l’art, depuis l’Antiquité, y est représentée, dûment classée, gardée par des bataillons de caméras et d’agents de sécurité. Des clients ressortent, eux, le pas léger : au bout d’un an ou moins, ils ont pu « dégager », rembourser prêt et intérêts, récupérer l’objet confié. Comme pour 90 % des contrats.

Au mur de la salle d’attente du prêt sur gage, comme à la Sécurité sociale, les numéros d’appel défilent sur un écran. Martine, chic retraitée, s’apprête à faire expertiser une bague, un collier, des boucles d’oreilles. Elle est sereine. « Je ne suis pas venue depuis quarante ans ! Mais là, entre les impôts et les charges de mon appartement, j’ai un trou dans ma trésorerie. » Quelques minutes plus tard, après être passée au guichet, Martine revient, tout sourire. « Je ne m’attendais pas à autant. » Les assesseurs, experts et commissaires-priseurs travaillent en retrait, sans contact visuel avec le public, pour garantir l’objectivité de l’évaluation. Ils ont estimé les bijoux de Martine « sans histoire, sans indice » en quelques minutes. Pesé, vérifié pierres et poinçons à la loupe, testé le métal avec leurs acides. De 50 à 60 % de leur valeur sur les places de marché (et non la valeur d’achat) lui seront prêtés. Elle repart avec près de 2 000 euros et un contrat d’un an. De quoi faire face.

Les chargés de clientèle reçoivent la vie des gens en direct

Pour Mehdi, 24 ans, c’est une autre paire de manches. Il est livreur pour Uber Eats et son scooter est tombé en rade. Il est à la rue, n’a pas les moyens de le faire dépanner et plus aucun revenu. « Il me faut 450 euros. J’ai des bijoux de ma mère alors j’ai tapé “prêt sur gage” sur Internet et je suis tombé sur le Crédit municipal. Vous croyez que c’est sérieux ? » Acculé, fébrile, il cherche à se rassurer. Mais quand le verdict tombe, c’est la douche froide. « La chaîne, c’est pas de l’or, et les montres de femme, ils ne les prennent pas si c’est un homme qui fait le dépôt. Avec le bracelet, j’ai 260 euros, je suis content quand même. » Faisant contre mauvaise fortune bonne figure, il file. Il est diabétique, il a oublié son insuline. Ce n’est pas son jour. Derrière leurs guichets vitrés, avec vue sur la salle, les « chargés de clientèle » reçoivent la vie des gens en direct, en plein cœur. La centaine d’agents travaillant à tous les étages collectionne les anecdotes, les tentatives d’escroquerie, les éblouissements. Tout cela alimente la légende maison. Mais au comptoir, point stratégique, ce n’est pas du théâtre ! Il faut être prêt à tout, et surtout à l’inattendu. Pas un jour ne ressemble à un autre.

La contrefaçon est chassée

Anildo, depuis vingt-six ans à son poste, a vite aimé le job. D’abord gardien des lieux la nuit, il n’avait aucune idée de ce qui s’y tramait le jour. « Quand j’ai changé de fonction pour raisons familiales, je suis tombé des nues. C’est un autre univers, mais surtout pas “Les misérables”. Plutôt un outil de dépannage, qui permet d’éviter la banque et ses délais. Nous ne sommes pas là pour juger les gens, qui viennent du 93 comme de Neuilly. » A force de voir défiler quotidiennement 30 à 50 personnes, Anildo a développé une acuité de « profiler ». En quelques secondes, il comprend si c’est une première fois « par la gestuelle », prend le temps d’expliquer que c’est juste une séparation, que l’objet leur appartient toujours, sait détecter la détresse – « Dans ces cas-là, ils sont très discrets, ne discutent pas » –, repère ceux qui font de la cavalerie, misent sur les débits différés de leurs cartes Bleues. « Il faut aimer l’être humain et le relationnel. On est face à des personnes qui ont la tête sous l’eau. Elles jouent parfois leur dernière carte. On prévient alors notre hiérarchie afin de les diriger vers le service d’Accompagnement budgétaire, pour les aider à sortir du surendettement. » Il détecte aussi les receleurs « qui ne vous regardent pas en face et sont trop détachés de la marchandise. Dans ce cas, on “lève le pied”, on demande des factures, on rend les objets ». Ennemi numéro un pour la maroquinerie et surtout les montres, la contrefaçon est « chassée ». Agnès Bieder rassure : « Nous avons ici recours à un horloger expert, Daniel Louise, qui fait un travail formidable. »

Anildo est disert, il a des histoires rocambolesques plein les souvenirs. Comme celle de cette jeune fille venue déposer bracelet et pendants d’oreilles hérités de sa grand-mère afin de payer son loyer et qui finalement repartira avec. « Les assesseurs ont expertisé les bijoux, tout or et diamants, une petite fortune. On l’a prise à part, elle tremblait, paniquée : “Mais moi, j’allais en boîte avec ! Et comment je vais repartir ? Je ne peux pas prendre le métro.” » Ou cette autre cliente, tombée de haut. Voulant gager une bague sertie d’un gros diamant, cadeau d’un prétendant, elle découvre que c’est du toc. « Je lui ai annoncé que la bague ne valait rien, je l’ai vue se décomposer. » Comme ses collègues, il accueille surtout des femmes – elles détiennent les bijoux – et constate une évolution des catégories sociales : plus de parents isolés, de cadres sup’, de classes moyennes.

La grande bourgeoisie et la noblesse ont souvent eu recours au prêt sur gage, en toute discrétion

Personne n’est à l’abri d’un pépin, d’un revers de fortune. Comme en attestent les registres des engagements secrets, conservés aux archives de Paris, la grande bourgeoisie et la noblesse ont souvent eu recours au prêt sur gage, en toute discrétion. Favorites, antiquaires, aristocrates désargentés pouvaient sauver la face et leur réputation, incognito, en négociant avec le directeur en personne. De nos jours, le service « expertise » reçoit les dépôts d’objets de grande valeur et aussi des gens célèbres. Il fonctionne sur rendez-vous, en toute confidentialité, avec une entrée dédiée. Véronique, l’une des deux chargées de clientèle, se rêvait archéologue. Elle est comblée. « J’ai eu entre les mains des antiquités égyptiennes, j’ai touché de très belles choses qu’on voit dans les musées. » Les clients se présentent avec leurs petits et grands magots bien protégés, un tableau dans des serviettes éponge, un meuble Art déco, de précieux bijoux dans leurs écrins. « On ne se lasse pas du beau. Et savoir qu’on peut soulager les gens, c’est gratifiant. Ils déchargent une partie de leurs soucis chez nous. »

Au terme du contrat de prêt d’un an, renouvelable, quand les propriétaires ne répondent pas aux relances par courrier, les objets passent en salle des ventes. Et justement, Agnès Bieder prépare la traditionnelle « Hermès-Chanel-Vuitton ». L’une des 80 ventes annuelles, dont certaines assez prestigieuses pour être « cataloguées ». En plus des lots d’or et de bijoux communs, des thèmes animent le calendrier : vins et spiritueux, bijoux d’exception, montres, objets d’art, instruments de musique et maintenant accessoires de mode griffés. « Pour la première fois, nous avons accepté de prêter contre une paire de chaussures, Chanel qui n’a pas été réclamée. C’est un test. » La salle la plus confortable de Paris attire les amateurs, les pros. On peut y faire de bonnes affaires, d’autant que les frais appliqués sont très compétitifs : 14,50 % en plus de l’adjudication, au lieu de 25 à 30 % à Drouot et ailleurs.

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Pour les chaussures Chanel peut-être, comme pour certains lots, quelques propriétaires toucheront le « boni ». Car, une fois le prêt couvert, les intérêts et les frais divers retirés, l’excédent généré par la vente leur revient. Et pour certains, c’est un peu comme gagner au Loto. Récemment, un pendentif compression de César a ainsi été adjugé 20 000 euros quand le prêt accordé à son dépôt s’élevait à 2 190 euros. Bénéfice net pour l’heureux propriétaire : 12 500 euros ! Une bague platine et diamant a encore fait mieux : le boni dégagé par les enchères a atteint 42 800 euros. Autre belle histoire, celle d’une bague spectaculaire non signée, pavée de citrines et saphirs jaunes, racontée par Agnès Bieder. « Elle a été gagée contre un prêt de 750 euros, puis une expertise a révélé son origine : Suzanne Belperron, créatrice française très en vogue, dont Wallis Simpson collectionnait les bijoux. Sa valeur pourrait atteindre 40 000 euros. » Ma tante, ça peut être mon oncle d’Amérique. creditmunicipal.fr.

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