Oum Kalsoum, une reine d’Egypte à Paris

Oum Kalsoum, une reine d’Egypte à Paris

Jamais l’Olympia n’a veillé si tard. Quelle heure est-il au juste, cette nuit de l’automne 1967 ? Une heure du matin, peut-être deux, mais le public s’en moque. Dehors, le Paris de novembre peut bien s’endormir et le métro fermer ses grilles, c’est à l’intérieur, dans la salle aux fauteuils rouges, que tout se joue. De l’orchestre au balcon, les spectateurs sont comme envoûtés, ensorcelés, prêts à rester toute la nuit, toute la vie, à écouter Oum Kalsoum. Déjà 2 h 30, et elle est toujours là qui chante, chante, chante, « la Dame » du Caire, repoussant l’échéance du baisser de rideau avec une chanson sans fin, soixante-cinq minutes montre en main. Encore quelques envolées, les vivats de la foule, et il lui faudra rejoindre sa loge, puis filer vers sa suite à l’Hôtel George-V.

Oum Kalsoum en concert à l’Olympia

Oum Kalsoum, une reine d’Egypte à Paris

Viendra alors le moment de dire si ce concert, son seul hors du monde arabe, mérite sa place dans l’Histoire. Ce vœu, on le sait aujourd’hui, a été exaucé. Si un spectacle à l’étranger a marqué la carrière de la diva égyptienne, c’est bien celui-ci. Avec le temps, il s’est même enrichi de savoureuses légendes. N’a-t-on pas prétendu, ici ou là, que le général de Gaulle y avait assisté incognito ? Imaginons un instant « le Grand Charles », caché dans la pénombre du music-hall, lunettes noires et imper mastic, les yeux rivés sur la scène ! La vérité est moins romanesque, mais elle réserve bien des surprises…

Pour la reconstituer, il faut d’abord partir sur les traces de Bruno Coquatrix, à l’époque directeur de l’Olympia. Quand il se rend au Caire – en 1966 ou début 1967, les versions divergent –, c’est avant tout pour recruter une troupe en prévision d’un show international organisé dans sa salle. Son hôte égyptien, le ministre de la culture, en profite alors pour lui vanter les mérites d’une gloire nationale, une certaine Oum Kalsoum. Si ce nom dit vaguement quelque chose au visiteur français, il tarde à prendre la mesure du personnage. « Je croyais que c’était une danseuse du ventre », avouera Bruno Coquatrix par la suite.

A 65 ans passés, cette femme n’a pourtant rien d’une starlette de cabaret. On la dit pudique, discrète sur sa vie privée et profondément pieuse. Sur scène, elle est toujours vêtue d’une robe longue, Chanel de préférence. Il lui arrive souvent de porter des lunettes teintées, pour protéger ses yeux malades. En Egypte et dans l’ensemble des pays arabes, c’est une icône absolue dont les concerts sont retransmis une fois par mois, le jeudi, à la radio. De Rabat à Damas, dans les cafés, les souks, les bourgades les plus reculées, la vie s’arrête, le peuple se laisse bercer par la « voix de miel » d’El Sett (« la Dame »).

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