Licences de pêche: «Nous assistons à une montée en tensions inédite des relations franco-britanniques»

Licences de pêche: «Nous assistons à une montée en tensions inédite des relations franco-britanniques»

Aurélien Antoine est professeur des Universités, directeur de l'Observatoire du Brexit et auteur de Le Brexit: Une histoire anglaise aux éditions Dalloz.


FIGAROVOX. - Pourquoi la France a-t-elle pris des mesures de rétorsion contre la Grande-Bretagne ? Sont-elles légitimes ?

Aurélien ANTOINE. - Tout d'abord, il y a l'affaire des deux navires de pêche britanniques verbalisés en baie de Seine. D'après ce qu'a déclaré d'Annick Girardin, ministre de la Mer, sur France Inter, les navires n'étaient pas en règle. Cette verbalisation semble donc tout à fait légitime.

En revanche, nous pouvons être plus circonspects face aux mesures annoncées par le gouvernement. La France invoque une violation directe des accords du Brexit, en particulier l'accord commerce et coopération. Les Britanniques n'auraient pas accordé aux pêcheurs français toutes les licences prévues dans l'accord. Or, selon ce même accord, en cas de non-respect, des mécanismes de sanction sont prévus et doivent être appliqués par l'Union Européenne afin d'éviter des décisions unilatérales d'un État membre.

Dans cette histoire, il y a certainement une mauvaise volonté de la part des Britanniques. Cependant, dans les mesures de rétorsions annoncées par le gouvernement, il y a également une violation de l'accord si la France compte s'appuyer sur celui-ci pour attaquer les Britanniques, car ces mesures doivent être validées par l'UE, à la suite d'une procédure assez complexe qui ne laisse pas place à l'unilatéralisme des États membres.

Est-on certain que les licences de pêche prévues par les accords du Brexit n'aient pas encore été délivrées ? Et le cas échéant, les Britanniques le font-ils délibérément ?

Il faut d'abord souligner que l'accord ne précise rien sur le volume de licences à octroyer. À l'heure où je vous parle, je ne peux pas vous dire combien de demandes de licence sont exactement en souffrance. Il faudrait pour cela être particulièrement au fait de ce qui est déterminé dans chaque administration. Et encore... si l'on regarde les différentes affirmations des membres du gouvernement français sur le nombre de licences encore en attente, les chiffres varient. Les déclarations de Gabriel Attal et Annick Girardin ne sont pas des chiffres tout à fait équivalents, nous naviguons entre les 150 et les 200 licences accordées.

Le gouvernement britannique dit qu'il a accordé 98% des licences prévues pour l'ensemble de l'UE. Le gouvernement français parle plutôt de 90%. Nous pouvons donc considérer aisément que le chiffre réel se trouve, au minimum, à ce seuil des 90%, ce qui, moins d'un an après l'obtention d'un accord de commerce, n'est pas si scandaleux. Il ne faut pas oublier que l'accord de commerce et de coopération est un point de départ. Il n'y a pas de critères particulièrement précis pour déterminer l'octroi de licences de pêche.

À lire aussiPêche: la France dégaine ses mesures de rétorsion contre la Grande-Bretagne

Par ailleurs, il y a peut-être une mauvaise volonté des Britanniques - en particulier pour l'accès aux eaux de Guernesey et de Jersey - dans le but d'exciter la susceptibilité des Français. Cela paraît crédible au regard du contexte politique et des relations franco-britanniques qui montent en tension. Toujours est-il qu'en termes de licences octroyées, les Britanniques ont atteint un volume assez important.

Plusieurs pays comme la Belgique, le Pays-Bas, l'Irlande ou la Suède pêchent également dans les eaux britanniques. Font-ils face au même problème ? Pourquoi ne soutiennent-ils pas la France ?

Concernant le soutien que pourrait recevoir la France, il y a quelques semaines une déclaration commune a tout de même été signée par ces pays pour faire un effort sur l'octroi de licence. Mais c'est un soutien minimum et Bruxelles exclut d'engager les procédures de discussion prévues par l'accord de commerce et de coopération.

La France est donc quand même un peu seule. Pour comprendre pourquoi elle demeure la plus exposée au problème de l'octroi de licence, il faut revenir à des éléments historiques sur la situation très particulière des îles anglo-normandes qui sont en fait plus proches de la France que de l'Angleterre. Madame Girardin l'a très bien dit sur France Inter : à peine sortent-ils du port que les navires normands sont pratiquement dans les eaux territoriales de certaines îles anglo-normandes.

Par ailleurs, il faut aussi prendre du recul : il y a toujours eu des tensions dans cette zone, même lorsque le Royaume-Uni était dans l'Union européenne.

Les relations franco-britanniques ont-elles atteint un point de tension inédit depuis quelques années ?

Je crois que c'est tout de même un micro-problème politique et symbolique. Il y aurait beaucoup plus de choses à dire sur la question du protocole nord-irlandais ou sur la question migratoire qui sont deux sujets beaucoup plus épineux soulevés par le Brexit. Je dis cela même si j'ai beaucoup de respect pour les pêcheurs et je comprends l'anxiété que peut provoquer cette situation.

À lire aussiL'impact du Brexit «pire que le Covid», selon l'organisme budgétaire britannique

Plus globalement, il est néanmoins très clair que nous avons atteint un degré de tensions assez proche de celui que nous avons pu connaître au début de l'adhésion du Royaume-Uni à la construction européenne avec son fameux «rabais». Nous sommes peut-être même un cran au-dessus.

Peut-on penser qu'il y a une volonté de faire payer le Brexit aux Britanniques, et, par la même occasion, de dissuader toute tentative de sortie d'un autre État membre ?

Oui, forcément, cet état d'esprit existe. Certains États membres, comme la France, ont une position particulière vis-à-vis du Royaume-Uni et aiment donner l'impression qu'ils ont encore une grande importance. Souvenez-vous à la fin de l’année 2019 lors des reports successifs du Brexit, la position des États membres se résumait souvent à l'opposition good cop - bad cop. L'Allemagne endossait le rôle du premier et la France du second. C'est évidemment le jeu politique et tout cela relève plus, en ce qui concerne la pêche, de gesticulations politiques. Sur ce point, je rejoins certains analystes britanniques qui rappellent l'importance de l'élection présidentielle en France dans quelques mois.