La leçon de luxe de Jean-Christophe Babin : « Bvlgari est fort de ses codes légitimes »

La leçon de luxe de Jean-Christophe Babin : « Bvlgari est fort de ses codes légitimes »

Ouvrir un hôtel de luxe au cœur du Triangle d’or parisien en période de crise sanitaire peut sembler une gageure : le défi n’effraie pourtant pas Jean-Christophe Babin, PDG de Bvlgari, maison de joaillerie romaine appartenant au groupe LVMH. Bien au contraire, il y voit une nouvelle manière d’affirmer l’appartenance de la griffe au Gotha de la joaillerie, d’approfondir le dialogue entre Rome et Paris et de tisser des liens entre les différents univers de la marque. Une leçon de style et de stratégie.

Le Point : Vous êtes une maison de joaillerie romaine et vous ouvrez un hôtel au cœur de Paris. Est-ce une manière d’approfondir le dialogue entre les deux capitales ?

Jean-Christophe Babin : Le dialogue existe depuis que Paris s’appelait Lutèce ! Il est fait d’admiration et de concurrence entre deux pays et deux villes parmi les plus riches du monde en entités culturelles et artistiques. Il est fort surtout d’une convergence de goût. Cet hôtel entend ainsi être une manière d’ambassade de l’art de vivre italien à Paris. Il s’affirme aussi comme un rendez-vous entre le meilleur du savoir-faire italien – qui se reflète dans les matériaux et les choix décoratifs — et le meilleur de l’excellence artisanale hexagonale avec par exemple le travail de la marqueterie de paille, s’il ne fallait souligner qu’un exemple. L’idée est d’exprimer à la fois l’identité italienne de Bvlgari, mais aussi l’unicité de ce lieu et son ancrage dans Paris.

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Comment s’articule le dialogue entre codes esthétiques de la marque et esprit des lieux ?

Nos clients sont des voyageurs dans un monde nomade. Ils ont besoin de repères. Et la signature Bvlgari en est un. Dans un hôtel, elle peut se lire dans le choix des matériaux, disant l’italienneté de la marque – comme le marbre ou l’onyx mais aussi dans des clins d’œil joailliers, jamais intrusifs ou publicitaires – comme cette série de photos en noir et blanc, de grandes vedettes du passé arborant nos bijoux à Paris. Il faut dire que les Bvlgari eux-mêmes venaient très souvent à Paris : il y a une « période française » de la Maison de 1890 à 1900. Paris a été une manière d’incubateur de la maîtrise de la joaillerie pour Bvlgari. Cette étape nous a permis de définir notre propre style, qui est le miroir de Rome. Une ville obsédée par le gigantisme des thermes de Caracalla, au Vatican via le Victoriano et aujourd’hui le Cloud. Une obsession que nous reflétons dans notre amour des belles pierres, de leurs couleurs, de leurs tailles inédites influencées par les dômes de la ville : l’audace est notre signature.

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Quelle est la fonction d’un hôtel Bvlgari ?

C’est d’offrir une expérience immersive qu’aucune boutique au monde ne permettra jamais. Une boutique est un espace homogène, où ne s’exerce qu’un seul métier et où on passe finalement peu de temps – même si l’on est passionné par une pièce ! L’hôtel a contrario permet une pluralité d’expériences du spa au restaurant de Niko Romito, de quelques heures à plusieurs jours, et autorise donc une immersion beaucoup plus multidimensionnelle de la marque. On y privilégie un art de vivre et une hospitalité qui, loin des standards de l’hôtellerie de palace des XIXe et XXe siècles, entend être à la fois élégante, contemporaine et chaleureuse – c’est pour cela que nous avons peu de clés. Et puis, l’hôtel est aussi une manière de pôle de recrutement pour la joaillerie et la haute joaillerie : ceux qui ont pu vivre Bvlgari dans un de nos établissements, à Paris, Tokyo ou Dubai, vont naturellement être sensibilisés à la marque et à son cœur de métier et pousser la porte d’une boutique – installée dans l’hôtel comme à Paris, ou à proximité. Ainsi, du parfum, à l’hôtel, via la maroquinerie, l’horlogerie et les bijoux, se lisent une continuité et une stratégie.

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L’implantation des hôtels Bvlgari se superpose-t-elle avec les marchés de la joaillerie ?

Disons que nos implantations hôtelières dans le monde, de Bali à Pékin, Paris ou demain Rome, correspondent aux mouvements de notre clientèle qu’il s’agisse de voyages de plaisir ou d’affaires. Cette ambition va se poursuivre : à terme, je pense que nous pouvons être forts d’une vingtaine d’établissements, uniques dans le monde. En ce qui concerne Paris, elle demeure la ville la plus visitée au monde. Il est donc naturel que nous y soyons présents, non seulement avec cet hôtel, mais aussi avec notre plus grand vaisseau amiral au monde, place Vendôme. Cela dit qui nous sommes : un acteur majeur du Gotha de la joaillerie.

Quelle prochaine extension du territoire de la marque vous semble légitime ?

Aujourd’hui, je ne souhaite rien ajouter au portfolio de la marque : nous sommes au pinacle dans les catégories qui sont les nôtres. Y compris dans notre cœur de métier qui est et demeurera la joaillerie. La marque est d’autant plus forte que les différents métiers dialoguent. Nos symboles sont totalement transversaux – comme le Serpenti – et constituent un trait d’union entre nos différents savoir-faire – on retrouve le Serpenti de la joaillerie à la maroquinerie, via l’horlogerie ou les motifs décoratifs de l’hôtel. Nous sommes forts d’un univers de codes légitimes racontant une histoire qui est avant tout l’histoire de Rome. C’est la singularité de Bvlgari.