Catherine Deneuve : "Je ne me verrai jamais comme les autres me voient"

Catherine Deneuve : "Je ne me verrai jamais comme les autres me voient"

Catherine Deneuve vous attend dans le bar feutré d’un hôtel de la Rive gauche où elle a ses habitudes, demande aux rares touristes présents - qui font semblant de ne pas la reconnaître - si elle peut fumer. Qui pourrait dire non à Catherine Deneuve ? Elle allume ses fines cigarettes les unes après les autres, les volutes de fumée nimbent son beau visage de Deneuve, «un visage dont on ne peut se détacher», disait Truffaut. Elle parle vite, pense vite et, parfois, ne prend pas la peine de finir ses phrases. Ses yeux brillent derrière les lunettes fumées, et sa vitalité de tout instant réjouit : Deneuve, qui déteste la sacralisation, n’a jamais été une évanescente. Elle préférerait parler chine et brocante - ses passions dévorantes, avec la botanique et le cinéma —, mais l’actrice est là pour évoquer L’Adieu à la nuit (sortie le 24 avril 2019), d’André Téchiné son «frère de cinéma», avec qui elle tourne pour la huitième fois, collaboration exemplaire commencée en 1981 avec Hôtel des Amériques.

Catherine Deneuve joue Muriel, elle est brune, porte des bottes en caoutchouc et une parka kaki : elle dirige un centre équestre en province. Quand elle découvre fortuitement que son petit-fils s’est radicalisé et qu’il part rejoindre Daech en Syrie, son univers s’effondre. Elle est désarmée. Comment faire pour le retenir ? C’est un film sec, tout en tension, où beaucoup d’émotions passent par les regards et les silences. L’actrice, fébrile et tendre, y est parfaitement à sa place.

Femme et actrice libre, Catherine Deneuve continue d’inspirer les auteurs, emballés par le talent tout-terrain de cette baroudeuse toujours prête à jouer avec le feu. Le Japonais Koreeda a écrit pour elle La Vérité, avec Juliette Binoche, qu’on verra peut-être à Cannes. Cédric Kahn l’a fait tourner dans Fête de famille, avec Emmanuelle Bercot. Puis ce sera Terrible Jungle, un premier film, une comédie d’aventure tournée à la Réunion, où elle jouera la mère de Vincent Dedienne. Interview.

Madame Figaro. - Pour ce numéro, Dominique Issermann vous a imaginée en femme libre, avec des attributs emblématiques - la cigarette, la voiture, la moto. Vous ressemble-t-elle ?Catherine Deneuve. - On a toujours besoin d’accoler des étiquettes. Il y a eu la femme froide, puis le feu sous la glace et, aujourd’hui, une chose plus tangible : la liberté. Il est vrai qu’avec les années on abandonne des choses en chemin, on y attache moins d’importance, on s’allège. Plus exactement, les angoisses changent, on s’inquiète différemment. En fait, il faut se familiariser avec beaucoup d’autres choses qui surviennent avec le temps. Il faut à la fois lutter raisonnablement et s’en accommoder. Même si l’âge et l’image ne sont pas une obsession chez moi, on y est quand même confronté tous les jours...

En vidéo, Catherine Deneuve par Dominique Issermann : les coulisses

En tant qu’actrice, vous n’avez jamais été véritablement définie par votre âge, ce qui vous permet d’enchaîner avec agilité les rôles intéressants...Il m’est même arrivé de refuser des rôles qui n’étaient plus pour moi. Je me disais : non, c’est exagéré, ce ne sera pas crédible. Je suis très lucide : il ne faut pas s’accrocher. Et choisir des films en adéquation avec son âge. Ne pas être prise de court ne signifie pas non plus que c’est agréable.

Catherine Deneuve :

Est-ce choquant pour une actrice à la beauté exceptionnelle de jouer pour la première fois une mère, puis une grand-mère ?Avoir des enfants et des petits-enfants dans la vie fait vraiment relativiser. J’ai été mère tôt dans la vie et au cinéma. J’avais déjà une fille dans Les Parapluies de Cherbourg. Je pense aussi à Ça n’arrive qu’aux autres, de Nadine Trintignant. Grand-mère, c’est autre chose. Je n’ai aucun problème avec ça, mais le mot convoque des images qui ne font pas forcément plaisir... Vous savez, ma représentation ne m’intéresse pas beaucoup, et je ne me verrai jamais comme les autres me voient. Je fais plein d’autres choses quand je ne tourne pas, je suis très active, très vivante. Il y a l’actrice et puis la femme, à laquelle je ne donne pas trop accès. J’ai le goût du secret, et j’ai décrété depuis longtemps un périmètre de sécurité autour de moi. C’est dans ma nature.

Vous n’entrez dans aucune case répertoriée...Je n’appartiens pas à une famille d’actrices clairement définie. J’ai l’impression d’être à part, ce qui ne veut pas dire «mieux que les autres.» Les gens ne s’attendent jamais à me trouver où je suis. Ils sont surpris de me voir faire la queue au cinéma ou dans mon quartier, où tout le monde me connaît. J’ai une vie de quartier, même si c’est moins bien le week-end : je fais des détours, il y a des rues que je ne prends pas pour éviter les touristes et les demandes de selfies, que j’écarte aussi gentiment que je peux.

L’Adieu à la nuit est votre huitième film avec André Téchiné. Est-ce un rendez-vous important ?Oui, ces rencontres avec André Téchiné m’importent beaucoup. Ensemble, nous avons un passé, des films, des souvenirs - pour moi, des rôles souvent forts et douloureux. Rien n’est acquis. À chaque fois, je me demande si je vais être à la hauteur de ses attentes, si je vais arriver à le contenter ou à le surprendre. C’est un cinéaste qui m’épate. Il est incroyable. Quand il tourne, il n’y a que ça. L’intensité de son engagement est telle qu’il est épuisé le soir.

Vous dites qu’il est votre «frère de cinéma»...Nous avons le même âge, nous tournons ensemble depuis 1981, c’est fou quand j’y pense. Les choses se sont faites très naturellement. Nous sommes proches, nous allons au cinéma ensemble, nous dînons ensemble, je le vois même parfois le week-end. En même temps, il y a des domaines que nous n’abordons jamais ensemble. Par exemple, celui de la vie sentimentale, c’est une chose dont on ne parle pas.

En vidéo, Catherine Deneuve en 13 films

Comment préparez-vous un rôle ?Ça se fait beaucoup durant les lectures, mais aussi au moment où l’on prépare les costumes, qui, je le pense, construisent l’armature d’un personnage. Inconsciemment, des choses se mettent en place, et on entre dans le rôle. Je ne travaille pas seule, mais avec le metteur en scène. Je relis beaucoup le scénario, mais j’aime garder une liberté par rapport au texte, le flou m’intéresse. Je viens de tourner avec Kore-eda : il était impossible de ne pas changer le texte au dernier moment, car il était traduit du japonais. De plus - un luxe rare quand on tourne avec de la pellicule, comme c’est son cas -, il laissait parfois tourner la caméra au-delà de la prise : nous devions nous adapter, Juliette Binoche, ma partenaire, et moi...

Vous y jouez une actrice...Oui, une actrice terrible, épouvantable, égoïste, écrasante - un vrai monstre. Je me suis beaucoup amusée, c’est un rôle de composition. Où voit-on des actrices comme ça ? Joan Crawford et Bette Davis à l’époque, peut-être... Et encore... Les anecdotes les concernant ont sans doute été montées en épingle.

Catherine Deneuve sous l'objectif de Dominique Issermann

Deneuve chic et rebelle
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L’Adieu à la nuit est un film avec un arrière-plan social très réaliste. Que vous évoque le climat politique français actuel ?C’est un moment charnière, et je suis très attentive. J’ai peur que ce qui sortira du grand débat ne soit pas à la hauteur des attentes. Il y a une révolte qui remonte à loin. Ce qui a fait déborder la coupe, c’est la taxe carbone. De la part du gouvernement, c’est une méconnaissance de la vie rurale : à la campagne, il faut une voiture, et une voiture, ça coûte cher. Vous savez, le monde agricole me touche énormément, j’y suis très attachée. Sait-on qu’il y a quasiment un agriculteur par jour qui se suicide ? La France, c’est la ruralité. On ne peut pas et on ne doit pas laisser mourir ça.

Que pensez-vous des actrices et des femmes qui se serrent les coudes au nom de la parité ?Évidemment, il faut qu’il y ait plus de femmes partout. Mais on n’est pas obligé de passer par des revendications violentes. Il faut promulguer plus de lois pour obliger la parité à exister vraiment. Voilà : légiférer...

Avez-vous parfois souffert de l’absence de parité dans votre métier ?Non. Je pense que j’ai gagné moins d’argent que Gérard Depardieu, mais ce n’est vraiment pas un problème...

L'Adieu à la nuit, d'André Téchiné, avec Catherine Deneuve, Kacey Mottet Klein, Oulaya Amamra. Sortie le 24 avril 2019.

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